Un seuil s’est franchi pour l’écosystème Web3 français. Le 27 mars 2025, le tribunal de commerce de Paris a placé Komodor Studios, maison mère de Dogami, en redressement judiciaire. Une unique offre a été déposée à ce stade. Elle émane de PyratzLabs, cofondateur historique du projet, qui ambitionne de racheter les actifs clefs de l’entreprise et de lui offrir une nouvelle trajectoire.

Redressement judiciaire de komodor studios : décision du tribunal et portée économique

La procédure de redressement judiciaire ouvre une période d’observation sous la surveillance d’un administrateur judiciaire. Elle vise à assurer la continuité de l’activité lorsque cela est possible, à préserver l’emploi et à organiser un apurement du passif. Juridiquement, l’entreprise reste dirigée par ses représentants légaux, mais ses décisions structurantes se prennent sous contrôle du tribunal et de l’administrateur.

Dans le cas de Komodor Studios, la décision du 27 mars 2025 s’inscrit dans un contexte de tension prolongée sur le marché des NFTs et du gaming Web3. Après une phase d’euphorie en 2021, l’effondrement de 2022 a durablement contracté la demande, fragilisant les modèles reposant sur des revenus de marché secondaire et la spéculation sur les actifs numériques.

Les enjeux financiers ne se limitent pas aux créanciers. Ils englobent la préservation de la valeur immatérielle de Dogami, sa communauté, ses briques technologiques et la capacité à relancer un produit dans un environnement où l’utilité concrète et la conformité réglementaire priment désormais sur l’effet de mode.

Komodor studios : contours de la procédure

La procédure ouverte à Paris encadre les flux et fige le passif antérieur au jugement d’ouverture. Les contrats essentiels à l’activité peuvent être poursuivis, renégociés ou cédés. Elle autorise également la recherche d’un plan de redressement ou, en alternative, la cession de tout ou partie de l’entreprise à un tiers pour sauvegarder l’exploitation viable.

Le dépôt d’une offre tierce est une étape structurante. Ici, PyratzLabs se positionne explicitement sur le rachat d’actifs. En clair, il s’agit d’une logique de continuité par la cession des éléments qui font la valeur du projet, en évitant un démantèlement désordonné qui détruirait capital technologique et réputationnel.

Ce que change le redressement judiciaire pour les créanciers

La déclaration de créances devient obligatoire dans un délai imparti après le jugement d’ouverture. Les poursuites individuelles sont suspendues, ce qui redonne de l’oxygène à l’entreprise pour envisager un plan. Les sûretés réelles conservent leur rang, mais peuvent être reconfigurées dans le cadre d’un plan adopté par le tribunal. La négociation se concentre sur la meilleure solution de continuité, y compris par cession d’actifs.

Le redressement judiciaire vise d’abord la poursuite de l’activité et l’apurement du passif. Il autorise la recherche de financements nouveaux, la cession d’actifs séparés ou la reprise par un tiers.

La liquidation judiciaire intervient lorsque la poursuite n’est plus envisageable et entraîne la cessation définitive d’activité, sauf exceptions limitées. Pour Komodor Studios, la logique retenue est celle d’une reconstruction encadrée, pas d’une fermeture.

Que couvre l’offre de pyratzlabs et comment la lire financièrement

Selon les éléments déposés au tribunal, l’offre de PyratzLabs porte sur un rachat des actifs pour 25 000 euros. Elle inclut la propriété intellectuelle, des stocks physiques et la reprise de la filiale suisse de Dogami qui disposerait d’une trésorerie d’environ 62 000 francs suisses. L’objectif affiché est double : préserver une marque connue et capitaliser sur des briques techniques déjà construites.

Cette valorisation nominale, modeste au regard des levées cumulées de près de 15 millions d’euros entre 2021 et 2022, signale un marché où la valeur s’est déplacée de la promesse spéculative vers l’utilité et la traction opérationnelle. Dans un cycle baissier prolongé, la valeur d’usage et la capacité à générer un flux de trésorerie récurrent priment sur l’ampleur passée des tours de financement.

Pyratzlabs : stratégie et positionnement

Créé en 2021 par Bilal El Alamy et Thomas Binetruy, PyratzLabs se présente comme un startup studio spécialisé Web3, exploitant un écosystème composé d’une école orientée blockchain et IA, et d’un portefeuille d’une quarantaine de projets. Dogami a été l’un de ses premiers étendards, ce qui confère à l’offre de reprise une dimension défensive et patrimoniale.

La stratégie annoncée consiste à concentrer les actifs autour d’un socle IP fort, à optimiser les coûts fixes et à rechercher des synergies dans l’écosystème du studio. Le défi réside dans la monétisation rapide d’une base d’utilisateurs et la preuve d’un produit à forte rétention, éléments indispensables pour refinancer durablement un projet Web3 en 2025.

Dogami : les actifs qui comptent

Au-delà des codes et des serveurs, l’essentiel de la valeur provient des droits de propriété intellectuelle liés à l’univers Dogami, de sa communauté, et de l’historique de distribution de son jeu mobile déployé dans de nombreux pays. La filiale suisse et sa trésorerie constituent un matelas de liquidité utile pour absorber les premiers coûts de relance ou financer une migration technique.

La cession d’actifs est un pari d’exécution : si l’intégration est maîtrisée et le produit recentré sur des mécanismes d’engagement crédibles, la valeur peut se reconstituer. Dans le cas contraire, l’effet de dilution des franchises Web3 se poursuivra, au détriment de la marque.

Métriques Valeur Évolution
Date du jugement d’ouverture 27 mars 2025 N/A
Montant de l’offre de reprise (actifs) 25 000 euros Valorisation en phase basse de cycle
Trésorerie filiale suisse ≈ 62 000 CHF Ressource immédiate pour la relance
Levées de fonds historiques Dogami ≈ 15 M€ Période 2021 à 2022
Partenaires et investisseurs Ubisoft, The Sandbox, Animoca Brands, XAnge Ancrage corporate préservé

Dogami, de l’élan européen à la zone de turbulences

Dogami s’est lancé avec l’ambition d’un petaverse où des animaux de compagnie numériques, sous forme de NFTs, pouvaient être adoptés, élevés et échangés. L’équipe a atteint plus de vingt collaborateurs à son pic et a distribué un jeu dans de nombreux pays, fédérant une communauté active sur Discord et X.

Les premières années ont été soutenues par un tour de table composé d’acteurs majeurs du jeu vidéo et du Web3. La promesse était claire : fusionner gaming, blockchain et économie participative. Mais la chute des NFTs à partir de 2022 a révélé la fragilité du modèle play-to-earn, dépendant de la valorisation d’actifs très volatils.

Sur le plan produit, l’exécution incomplète et le manque d’une boucle de rétention solide ont freiné la capacité à générer des revenus récurrents. Faute de traction suffisante, la rentabilité s’est éloignée malgré l’effet vitrine initial de partenaires prestigieux.

Glossaire Web3 du dossier Dogami

Petaverse : univers virtuel autour d’animaux de compagnie numériques à collectionner et faire évoluer.
Play-to-earn : mécanique de jeu récompensant les joueurs en cryptos ou en actifs numériques transférables.
NFT : jeton non fongible, titre de propriété numérique unique sur une blockchain.
IP : propriété intellectuelle, incluant marques, visuels, assets et code source.

Le play-to-earn a prospéré dans un environnement de bull market, où l’afflux de nouveaux entrants soutenait la valorisation des actifs et les volumes d’échange. Dans un cycle baissier, l’équation se renverse.

La récompense nominale en jetons perd de la valeur, la spéculation se tarit et la rétention dépend davantage de la qualité du gameplay. Sans mécanique de progression attractive et sans utilité forte des actifs, les revenus s’assèchent rapidement.

Un marché des nfts en reconversion forcée en 2025

Après un pic en 2021, le marché des NFTs a subi un recalibrage massif en 2022, avec des collections phares perdant l’essentiel de leur valeur. En 2025, les volumes restent nettement inférieurs aux sommets précédents et les projets pivotent vers des usages plus concrets, du ticketing au gaming en passant par l’identification numérique.

Dans le gaming, les acteurs les plus résilients placent l’utilité en jeu au cœur de la proposition de valeur. Interopérabilité des actifs, objets à faible friction d’usage et ancrage dans des expériences existantes deviennent prioritaires. Le temps des promesses spéculatives a laissé la place à des feuilles de route centrées sur l’expérience utilisateur et la conformité.

Les indicateurs restent prudents. Les flux de transactions sont encore loin des sommets de 2021, avec un recul de l’ordre de 70 pour cent selon des compilations de médias spécialisés (Cryptonews). Ce contexte conduit mécaniquement à une réévaluation à la baisse des actifs non stratégiques et à la consolidation par reprise d’actifs.

Konami : initiatives persistantes dans le web3

En octobre 2022, Konami a annoncé des développements Web3 et des projets liés aux métavers. Ce mouvement, maintenu malgré la volatilité, illustre l’approche de grandes maisons de jeu qui testent des briques Web3 là où elles peuvent augmenter la valeur d’usage, sans s’exposer au risque spéculatif pur. Pour Dogami, s’inspirer de ces logiques d’intégration parcimonieuse peut constituer une voie réaliste.

  • Progression des utilisateurs actifs uniques sur les principales marketplaces, plutôt que volumes nominaux.
  • Taux d’intégration des NFTs dans des jeux existants et fréquence d’usage en jeu.
  • Part des revenus issus d’utilités réelles vs reventes spéculatives.
  • Projets conformes MiCA et dispositifs renforcés de lutte contre la fraude.

Cadre français et européen : sécurité, conformité et conditions d’exécution

En France, les projets mêlant actifs numériques et services au public s’inscrivent sous la vigilance de l’Autorité des marchés financiers. Les émetteurs et les prestataires de services sur actifs numériques doivent respecter des exigences de transparence, de gouvernance et de lutte contre le blanchiment si leurs activités entrent dans ce périmètre. Pour les NFTs, tout dépend de l’usage et des droits attachés, qui peuvent, selon les cas, déclencher des obligations spécifiques.

Au niveau européen, le règlement MiCA est entré en vigueur en 2023, avec une application progressive. Les règles dédiées aux stablecoins sont applicables depuis 2024, et le régime des prestataires se déploie à partir de fin 2024 et en 2025. Pour un studio de jeux, la feuille de route consiste à cartographier les flux, déterminer précisément le statut des jetons, et sécuriser le parcours KYC si des fonctionnalités transfrontalières sont proposées.

La question de la cybersécurité est devenue centrale. Les rapports publics récents en France mettent en évidence une intensification des menaces visant les plateformes et les portefeuilles numériques, ainsi qu’une sophistication accrue des arnaques. La dimension sécurité devra être nativement intégrée au projet repris, tant pour préserver la confiance de la communauté que pour limiter le risque réglementaire et opérationnel.

Gouvernance et risques opérationnels à adresser

Pour PyratzLabs, une reprise efficace suppose la mise en place d’une gouvernance produit structurée, de contrôles financiers renforcés et d’une gestion active du risque juridique. Les priorités opérationnelles incluent la qualité du code, le monitoring des smart contracts, l’audit de sécurité indépendant et la discipline dans la publication des métriques clés à la communauté.

MiCA et PSAN : points de vigilance pour un studio de jeux

  • Qualification des NFTs et des utilités in-app au regard du droit financier.
  • Licences et enregistrements requis si des services sur actifs numériques sont fournis en France.
  • Transparence accrue sur la tokenomics et les risques pour les utilisateurs.
  • Dispositif LCB-FT, conservation des preuves, et traçabilité on-chain.

Relancer dogami en 2025 : modèles soutenables et arbitrages produits

La viabilité d’un jeu Web3 ne se décrète pas, elle se démontre. Trois chantiers sont décisifs : clarifier l’utilité des actifs dans le gameplay, instaurer une économie interne pilotable et optimiser les frais d’infrastructure. La tendance est au free-to-own encadré, à l’interopérabilité limitée mais utile, et à une monétisation diversifiée entre items cosmétiques, passes d’accès et services à valeur ajoutée.

Une relance crédible suppose de réduire la dépendance aux revenus de marché secondaire. Elle passe aussi par la réduction de la friction d’entrée pour les joueurs non familiers du Web3, via des custodial wallets intégrés, des paiements fiat, et une expérience où le portefeuille crypto n’est pas un préalable.

Pistes concrètes pour dogami

  • Recentrer le design sur une boucle d’engagement claire : progression, missions quotidiennes, ladder compétitif sans pay-to-win.
  • Segmenter l’offre entre collectionneurs avancés et joueurs grand public, avec des parcours différenciés.
  • Introduire des actifs utilitaires non spéculatifs, consommables en jeu, pour lisser la volatilité des revenus.
  • Activer des partenariats de distribution avec des acteurs mobiles et PC, tests A/B sur des marchés pilotes.
  • Industrialiser l’analytics produit pour piloter la rétention jour 1, 7 et 30, et optimiser l’acquisition.

L’IA générative peut accélérer la personnalisation des animaux virtuels et l’animation d’événements en jeu, à condition de cadrer la propriété intellectuelle et d’encadrer l’usage des données. L’enjeu est de produire un ressenti unique sans complexifier l’infrastructure ni détourner l’équipe du cœur de gameplay.

  1. Audit technique et de sécurité des smart contracts et serveurs, avec plan de remédiation priorisé.
  2. Revue juridique des actifs IP, contrats fournisseurs et licences logicielles.
  3. Cartographie des flux financiers et des obligations réglementaires, incluant KYC si nécessaire.
  4. MVP resserré sur 2 à 3 fonctionnalités à forte valeur d’usage, calendrier de livraisons publiques.
  5. Stratégie communauté avec publication d’indicateurs de rétention et feuille de route trimestrielle.

Financements, coûts et leviers de consolidation sectorielle

Racheter une IP pour 25 000 euros est une opération peu capitalistique, mais la courbe d’investissement reprend dès le premier mois de relance. Hébergement, sécurité, marketing, support et production absorbent rapidement la trésorerie disponible. La présence d’environ 62 000 CHF dans la filiale suisse peut financer une phase initiale, mais ne dispense pas d’une recherche de cash externe.

Plusieurs voies existent. Les mécanismes d’aide à l’innovation en France, lorsqu’ils sont mobilisables, impliquent une démonstration de viabilité et des jalons clairs. Côté privé, les tours de table se structurent désormais autour d’indicateurs opérationnels, avec des investisseurs plus sélectifs et attentifs aux normes MiCA et à la gouvernance.

La reprise d’actifs s’inscrit dans une logique de consolidation. Les studios dotés d’infrastructures mutualisées et de back-office adaptés aux cycles de marché ont un avantage comparatif. Les synergies possibles incluent mutualisation des coûts d’acquisition, achats cloud groupés, et partage d’outils de conformité.

Arbitrages budgétaires indispensables

  • Capex vs Opex : privilégier l’optimisation d’assets existants plutôt qu’une réécriture totale du code.
  • Security by design : budgéter audits réguliers plutôt que des correctifs coûteux après incident.
  • Go-to-market ciblé : concentrer les dépenses marketing sur des canaux à ROI mesurable.

Une relance par itérations courtes, mesurées par la rétention et la conversion en achats in-app, permet de minimiser le risque. Le succès ne dépend pas d’un seul grand lancement, mais d’une succession de preuves d’usage articulées.

Cap de gouvernance et attentes des parties prenantes

La relance d’un projet Web3 s’évalue désormais à l’aune de sa discipline de gouvernance. Roadmaps crédibles, reporting régulier, gestion des conflits d’intérêts et lisibilité sur la tokenomics sont devenus indispensables pour regagner la confiance. Les communautés tolèrent moins les promesses non tenues, et les investisseurs examinent davantage la conformité et la sécurisation des flux.

Pour Komodor Studios et Dogami, la reconstruction du lien avec la communauté passe par une communication sobre, factuelle et actionnable. Publication de métriques de rétention, calendrier produit maîtrisé, et transparence sur les arbitrages financiers forment le cœur du contrat moral qui soutient un reboot viable.

Rôle des investisseurs corporates

La présence d’acteurs comme Ubisoft, The Sandbox ou Animoca Brands dans l’historique du projet rappelle qu’une porte de collaboration demeure possible si l’utilité est démontrée. Les partenariats industriels s’activeront néanmoins au prix d’une conformité stricte, d’une protection de la marque et d’une capacité à intégrer des assets Web3 sans dégrader l’expérience de jeu traditionnelle.

Ce que pourrait signifier 2025 pour dogami et son écosystème

La reprise envisagée des actifs de Komodor Studios par PyratzLabs pose clairement le cadre d’un repositionnement de Dogami. Le projet doit prouver sa capacité à convertir une IP reconnue en un produit à rétention forte, avec une monétisation prévisible et une conformité maîtrisée. Les chiffres passés des levées ne garantissent rien dans le cycle actuel, mais l’ADN du projet et l’écosystème du repreneur peuvent constituer une base de relance si l’exécution suit.

En toile de fond, le Web3 poursuit sa normalisation. Les projets survivants sont ceux qui démontrent une utilité tangible et une gouvernance exemplaire, là où les marchés ont longtemps privilégié la vitesse sur la solidité. C’est l’épreuve de vérité qui attend Dogami, et, plus largement, l’ensemble des franchises nées dans le haut de cycle.

Le jugement de redressement du 27 mars 2025 et l’offre de rachat des actifs par PyratzLabs cristallisent la bascule du Web3 français vers un modèle d’utilité, d’exécution disciplinée et de conformité, condition sine qua non pour transformer un héritage de marque en trajectoire durable.