Altice France rejette l'offre de Bouygues et Orange pour SFR
Altice France refuse une offre de rachat de SFR à 17 Md€. Découverte des enjeux pour le marché telecom français.

« Offre indicative reçue, immédiatement rejetée ». En quelques mots adressés aux salariés, Arthur Dreyfuss, président d’Altice France, a clos la porte à la proposition conjointe de Bouygues Telecom, Orange et Iliad visant SFR. La manœuvre, dévoilée mi-octobre, visait un rachat éclaté des actifs. La riposte d’Altice, rapide et ferme, rebat les cartes d’une consolidation annoncée du marché télécom français.
Rejet immédiat : position d’Altice France et message interne
Altice France a opposé une fin de non-recevoir à une offre indicative reçue le 14 octobre 2025 et portant sur « une partie des actifs d’Altice France ». Le message interne d’Arthur Dreyfuss, relayé par plusieurs médias, précise que l’offre « a été immédiatement rejetée ». La tonalité, sans ambiguïté, révèle une stratégie claire d’Altice : ne pas accepter un découpage de SFR aux conditions présentées.
Ce refus instantané signale, au-delà d’un désaccord de prix, la volonté d’Altice de maîtriser le calendrier, le périmètre et la mécanique de toute cession éventuelle. En creux, il laisse entendre que le groupe estime pouvoir maximiser la valeur par d’autres voies, qu’il s’agisse d’une vente ciblée d’actifs, d’une alliance industrielle ou de nouvelles discussions bilatérales.
Chronologie éclair du dossier SFR (octobre 2025)
Les séquences clés ayant structuré l’épisode jusqu’au rejet :
- 14 octobre 2025 : dépôt d’une offre conjointe par Bouygues Telecom, Orange et Iliad, visant une reprise éclatée d’actifs de SFR.
- Le soir même : réception par Altice France, selon le message interne transmis aux équipes.
- 15 octobre 2025 : rejet immédiat de l’offre par Altice France et premières réactions boursières sur les titres des opérateurs français.
Montage à 17 Md€ : périmètre, partage des actifs et valorisations
L’offre conjointe s’élève à 17 milliards d’euros, dette comprise, et ciblerait la majeure partie des actifs de SFR avec un partage entre les trois acquéreurs potentiels. L’ambition est affichée : ramener le nombre d’opérateurs de quatre à trois, dans l’idée de rétablir la rentabilité en réduisant l’intensité concurrentielle. À l’échelle d’Altice France, la valorisation implicite approcherait 21 milliards d’euros dans ce schéma (Le Monde, 15 octobre 2025).
Ce cadrage financier est toutefois jugé trop bas par Altice. Des estimations médiatiques évoquent une valorisation d’environ 30 milliards d’euros pour SFR seul, ce qui creuse l’écart d’attentes.
Par ailleurs, la participation de 50,01 % dans XpFibre, présentée comme hors périmètre de l’offre, est recherchée à la vente autour de 5 milliards d’euros selon des informations de marché. Autrement dit, la proposition reçue ne capture pas certaines briques d’infrastructure jugées stratégiques par Altice.
Bouygues Telecom, Orange et Iliad : logique industrielle affichée
Le raisonnement des prétendants se lit en trois axes. D’abord, réduire la fragmentation d’un marché proche de la saturation commerciale.
Ensuite, mutualiser les réseaux pour éviter des surinvestissements redondants sur la fibre et la 5G. Enfin, stabiliser les ARPU en desserrant la pression promotionnelle chronique. Ce triptyque n’est pas nouveau en Europe, mais il demeure soumis à un examen approfondi des autorités, notamment sur les effets prix et l’accès des MVNO.
Une offre indicative n’engage pas définitivement les parties et reste conditionnée à des due diligences, à la négociation de garanties et aux feux verts réglementaires. Elle fixe un périmètre cible, un niveau de prix et des hypothèses de dette, mais peut être révisée selon les découvertes et les contraintes imposées par les autorités de concurrence et sectorielles.
Dette et options d’arbitrage : où en est Altice France
Altice France porte une dette supérieure à 24 milliards d’euros à fin 2024, selon les communications du groupe. Le levier, fruit d’un historique d’acquisitions et d’un environnement financier plus coûteux, pèse sur les marges de manœuvre.
Début août 2025, une décision judiciaire rapportée par la presse a ouvert la voie à une possible vente de SFR, sans préjuger du format ou de l’issue (L’Alsace, 4 août 2025). En pratique, cela autorise un dialogue mais n’équivaut pas à accepter n’importe quel prix.
Patrick Drahi a cherché des solutions de refinancement et des alliances. Les échanges évoqués avec des investisseurs, y compris internationaux, n’ont pas abouti à ce stade. La préférence actuelle semble aller vers des arbitrages d’actifs au bon moment et au bon prix, plutôt qu’un démantèlement hâtif qui cristalliserait une décote jugée excessive par l’actionnaire.
Altice France : dette, cessions ciblées et XpFibre
Dans la palette de scénarios, la cession de XpFibre se détache comme un levier de désendettement, sans toucher le périmètre commercial cœur de SFR. Cette piste, distincte de l’offre conjointe, vise à monétiser une infrastructure fibre pour renforcer le bilan. Elle resterait néanmoins dépendante du pricing et de l’appétit des investisseurs dans un marché des infrastructures prudent depuis la remontée des taux.
Altice France coiffe des activités télécom et médias. SFR en est l’opérateur commercial majeur (mobile, fixe, entreprises). XpFibre porte une partie des actifs d’infrastructure fibre et fonctionne selon une logique d’opérateur de gros. Les valorisations perçues diffèrent : base clients et fréquences d’un côté, cash-flows d’infrastructure de l’autre.
Lecture financière : pourquoi 17 Md€ peut sembler « attractif » côté acquéreurs
Des éléments qui peuvent rendre l’offre séduisante pour les acheteurs, sous réserve de validation :
- Intégration industrielle permettant de lisser capex et opex réseaux.
- Rationalisation commerciale avec moins de surenchère promotionnelle.
- Partage d’actifs facilitant des économies d’échelle à court terme.
- Effets de portefeuille sur les fréquences, sous réserve des règles de concurrence.
Marché et bourse : un signal prix accueilli favorablement
Le 15 octobre 2025 à la mi-journée, les investisseurs ont salué la tentative de consolidation. Bouygues a pris environ +8 % et Orange environ +3,6 %.
La réaction positive reflète l’idée qu’un prix à 17 milliards d’euros pourrait créer de la valeur pour les acheteurs, en cas d’issue favorable. Les titres liés à Altice ont, eux, peu varié, ce qui traduit une attente sur les étapes suivantes plus qu’un jugement définitif sur l’offre rejetée.
Des analystes de marché y voient un point de départ plus qu’un point d’arrivée : ajustements de périmètre, réallocation d’actifs spécifiques et éventuelle révision de prix pourraient apparaître au fil des discussions, si Altice rouvre la porte. À ce stade, rien n’indique une négociation active entre les parties, mais la visibilité boursière a été suffisante pour déclencher un repositionnement tactique sur les valeurs télécom.
Réaction des opérateurs : sobriété des communiqués
Les trois candidats ont confirmé le rejet dans des messages succincts, sans détailler leurs intentions à ce stade. Cette retenue est classique tant que le cadre de confidentialité et le balisage réglementaire ne sont pas clarifiés. Elle laisse toutefois entendre que le trio demeure à l’affût d’une fenêtre de tir si les conditions venaient à évoluer.
Régulation et concurrence : seuils de contrôle et garde-fous
Le ministre de l’Économie, Roland Lescure, a indiqué le 15 octobre 2025 que l’opération pourrait être envisagée, mais « pas au détriment des consommateurs » ni de la qualité de service. Le message gouvernemental fixe deux lignes rouges : maintenir une concurrence effective et préserver les investissements dans les réseaux. L’examen du dossier relèverait d’un empilement d’autorisations, à commencer par une appréciation au niveau européen pour l’aspect concurrence.
Précédent éclairant, le rapprochement Numericable-SFR en 2014 avait été autorisé sous engagements par l’Autorité de la concurrence, afin de limiter les risques de verrouillage du marché. De nombreux remèdes sont possibles dans une configuration à trois opérateurs : cession de fréquences, obligations d’accès aux MVNO, portage d’accords d’itinérance, ou encore garde-fous sur les conditions commerciales.
Un montage de cette ampleur mobiliserait plusieurs instances :
- Commission européenne : contrôle des concentrations d’envergure européenne et analyse des effets sur la concurrence.
- Autorité de la concurrence (France) : instruction nationale, le cas échéant, et mise en place d’éventuels remèdes.
- ARCEP : suivi sectoriel, conditions d’utilisation des fréquences et obligations de couverture.
En pratique, les remèdes peuvent inclure des cessions ciblées, des obligations de gros ou des engagements tarifaires sur des segments précis.
Cinq points d’attention pour les autorités
- Fréquences : reventilation équilibrée pour éviter toute position dominante locale.
- Réseaux : garanties sur l’itinérance et l’accès des MVNO.
- Prix : suivi des offres d’entrée de gamme et des conditions de reconduction.
- Investissements : maintien des capex sur la 5G et la fibre, en zones denses et rurales.
- Qualité de service : indicateurs publics sur la couverture et la performance mesurée.
Impacts opérationnels potentiels chez SFR : clients, réseau et emploi
Un démantèlement de SFR impliquerait des transferts de clients, des échanges d’actifs réseau et une réaffectation des fréquences. Environ 20 millions de clients mobiles sont évoqués pour SFR.
L’entreprise compte près de 9 000 salariés en France, d’après ses rapports annuels. Toute partition exigerait une ingénierie opérationnelle fine pour préserver la continuité de service, la qualité perçue et l’équité commerciale.
Sur le plan économique, la réduction d’un acteur à quatre vers trois se heurte au débat classique : stabilité des prix ou hausse potentielle pour les consommateurs, en contrepartie d’une meilleure capacité d’investissement. Les précédents en Europe montrent des résultats contrastés selon la séquence concurrentielle et le paquet de remèdes imposés. D’où l’attention maximale portée au calibrage des engagements qui, in fine, conditionneraient l’équilibre du marché.
Clients et fréquences : redistribution sous conditions strictes
La réallocation des clients ne peut se faire qu’avec transparence et information adéquates. Les fréquences, bien public rare, appellent un rééquilibrage rigoureux pour éviter les déséquilibres. Des mécanismes de transition, comme la portabilité assistée, l’itinérance ou le maintien temporaire de certaines offres, sont des outils fréquents en période de bascule.
Emploi : zones de recouvrement et doublons possibles
Du côté social, les doublons de fonctions représentent un risque classique lorsqu’un périmètre est éclaté entre plusieurs acquéreurs. Des engagements sociaux spécifiques ou des dispositifs de reconversion peuvent atténuer l’impact. Les autorités peuvent aussi intégrer des clausiers sociaux dans les remèdes, afin d’aligner équité et viabilité économique.
Dans certains marchés passés de quatre à trois opérateurs, les capex ont été soutenus et la couverture améliorée, mais la question des prix aux consommateurs est restée sensible. La clé réside souvent dans la qualité des remèdes imposés et le maintien d’une pression concurrentielle via l’accès de gros et les MVNO. Les régulateurs ont montré qu’ils peuvent conditionner très finement les autorisations.
Qui est SFR : repères économiques et positionnement
Opérateur historique du fixe et acteur majeur du mobile, SFR s’adresse au grand public et aux entreprises. Son empreinte industrielle couvre le mobile, le très haut débit fixe et des services numériques associés.
Sur la fibre, le groupe a contribué aux déploiements via des véhicules d’infrastructure spécialisés, dont XpFibre. Sur le mobile, SFR exploite un parc de fréquences multi-bandes, clef de la couverture et de la capacité 5G.
La dynamique concurrentielle depuis l’entrée d’Iliad/Free dans le mobile a comprimé les marges et intensifié les promotions, conduisant à des arbitrages complexes entre prix, réseau et différenciation de service. C’est ce contexte qui rend l’équation d’une consolidation à trois acteurs potentiellement créatrice de valeur pour les opérateurs, mais exigeante en termes de compensations concurrentielles à définir par les autorités.
Ce qui peut bouger à court terme
Le refus d’Altice n’éteint pas le dossier. Des échanges exploratoires peuvent survenir autour d’un périmètre ajusté, d’un niveau de prix révisé ou d’un séquencement en plusieurs opérations. Altice a indiqué à ses équipes qu’elle examinait d’autres options afin de maximiser la valeur, ce qui inclut des alternatives partielles et des axes de refinancement ou de cession d’infrastructures.
Dans l’intervalle, le secteur reste marqué par les enjeux 5G, la pression des plateformes OTT et l’encadrement européen des infrastructures et flux financiers. Les signaux de vigilance sur les opérations complexes rappelés dans les publications publiques françaises récentes confortent l’idée d’un processus étroitement supervisé, si le dossier devait réapparaître sous une forme modifiée.
Affaire à suivre : les prochains mouvements des acteurs diront si ce rejet fut un point final ou l’ouverture d’une négociation à nouveaux termes.