Reprise du Groupe Kovacic : Pascal Rey ouvre une nouvelle ère pour la menuiserie alsacienne
Rachat de Kovacic, menuisier alsacien 12 M€, par Pascal Rey soutenu par Bpifrance et SODIV : objectifs, chiffres clés, impacts régionaux.

La transmission réussie d’une entreprise familiale à un nouveau dirigeant est toujours un signal fort pour l’économie régionale. Le 1er juillet 2025, Pascal Rey a racheté le Groupe Kovacic, menuisier alsacien fondé en 1965, grâce à l’appui financier croisé de Bpifrance et de la SODIV. Au‑delà des chiffres, cette opération illustre la capacité des outils publics et privés à préserver un héritage industriel tout en lui ouvrant de nouveaux horizons.
Passe de relais : une étape charnière pour l’industrie du Grand Est
À première vue, la transaction pourrait ressembler à un simple changement d’actionnaire. En réalité, elle cumule plusieurs défis : protéger l’ADN d’une PME historique, financer une montée en puissance industrielle et consolider un marché local soumis à la pression de la rénovation énergétique. Pendant soixante ans, la famille Kovacic a façonné un acteur reconnu du Bas‑Rhin à la Moselle. Le départ de la troisième génération n’est donc pas un retrait, mais une manière de préparer l’avenir. En choisissant un repreneur doté d’une solide expérience dans l’industrie du mobilier professionnel, la famille conforte son entreprise dans une logique de pérennité plutôt que de rente ponctuelle.
Le chantier est ambitieux. Kovacic, c’est :
- 12 millions d’euros de chiffre d’affaires – chiffre en croissance régulière malgré les turbulences liées à la crise sanitaire.
- 55 salariés au 30 juin 2025, avec des métiers allant du bureau d’études à la pose, en passant par la logistique et le service après‑vente.
- 3 show‑rooms (Ernolsheim‑Bruche, Haguenau, Colmar) qui servent de vitrines pédagogiques pour les particuliers et d’espaces de prescription pour les architectes.
- 1 usine de 7 000 m² entièrement intégrée, capable de produire chaque année environ 18 000 unités complexes (fenêtres, portes d’entrée, coulissants, volets), dont 30 % sur mesure.
Au cœur de cette plateforme industrielle se trouve une organisation en cellules autonomes. Chaque cellule gère un type de matériau – bois, PVC ou aluminium – afin de réduire les temps de changement de série. Cette spécialisation, implantée dès 2018, a permis de gagner quatre points de marge opérationnelle en trois ans. Elle constitue la pierre angulaire de la stratégie de montée en cadence : plutôt que d’ajouter des mètres carrés, Kovacic compte repousser ses limites de productivité par des investissements ciblés dans la robotisation de la découpe et dans la gestion de production assistée par intelligence artificielle.
Portrait de Pascal Rey : du mobilier professionnel à la menuiserie extérieure
L’arrivée de Pascal Rey change la nature du jeu. Diplômé de l’ICN Business School, il a passé plus de quinze ans chez Brunner, groupe allemand de mobilier haut de gamme. D’abord directeur commercial, puis directeur général France, il a mis en place un réseau de distribution multicanal et mené deux relocalisations industrielles, réduisant de 22 % les rebuts et augmentant la marge brute de trois points. Ce pedigree est précieux pour Kovacic, car la filière menuiserie souffre encore trop souvent d’une segmentation artisan / industrie qui freine la standardisation.
L’objectif de Pascal Rey est clair : industrialiser sans dénaturer l’artisanat. Autrement dit, conserver la marque de fabrique alsacienne – l’attention au détail et la proximité avec le client – tout en injectant les bonnes pratiques du lean manufacturing. Concrètement, une équipe excellence opérationnelle de quatre personnes sera mise en place dès janvier 2026. Sa mission : cartographier les flux, identifier les gaspillages et piloter un plan d’amélioration continue. Dans le même temps, un partenariat sera noué avec l’INSA Strasbourg pour déployer des algorithmes de planification qui tiennent compte des contraintes matériaux et des créneaux de pose.
Chez Brunner, Pascal Rey a mené l’intégration d’une découpe laser cinq axes, réduisant le temps de production d’un piètement de fauteuil de 15 minutes à 7 minutes. Il a également fermement positionné la filiale française sur les marchés hospitaliers et hôteliers, décrochant un contrat cadre de 12 millions d’euros avec l’AP‑HP. Cette expertise des appels d’offres publics est un atout clé pour Kovacic, qui vise les bailleurs sociaux et les collectivités.
Architecture financière : un montage hybride au service de la croissance
Le rachat repose sur une structure de financement à trois étages :
- Fonds propres : un apport personnel de Pascal Rey, couplé à un investissement France Investissement Régions. Le dirigeant conserve 65 % du capital de la holding de reprise, garantissant son autonomie stratégique.
- Quasi‑fonds propres : un prêt participatif de la SODIV sur 7 ans, avec remboursement in fine et une clause de différé d’amortissement de trois ans. Cela sécurise le flux de trésorerie en phase de ramp‑up.
- Dette senior : un crédit amortissable de 3 millions d’euros souscrit auprès d’un pool bancaire mené par le Crédit Agricole, garanti partiellement par Bpifrance (50 %).
Cette combinaison offre un effet de levier maîtrisé (2,3 fois l’EBITDA 2024), tout en préservant une réserve de financement pour le capex. Dans le même temps, la structure familiale historique conserve la SCI qui détient les murs, percevant un loyer indexé sur l’indice ICAT. Cela évite une sortie massive de cash et maintient un alignement d’intérêts entre cédants et repreneur.
Les quasi‑fonds propres regroupent les financements hybrides tels que les obligations convertibles, la mezzanine ou les prêts participatifs. Leur rémunération est souvent conditionnée à la performance et leur remboursement se situe après la dette senior, ce qui améliore la solvabilité tout en limitant la dilution du dirigeant.
Focus sur Bpifrance et SODIV : deux leviers complémentaires
Bpifrance se positionne depuis plus de vingt ans comme l’investisseur de référence dans les transmissions de PME et d’ETI françaises. Son programme France Investissement Régions vise à irriguer les territoires en capital patient. En 2024, il a mobilisé plus de 650 millions d’euros, avec un ticket moyen de 3,2 millions d’euros par opération.
La SODIV quant à elle, forte d’un actionnariat public‑privé, est spécialisée dans les prêts participatifs régionaux. En quatre décennies, elle a financé plus de 1 200 projets industriels dans le Grand Est, sauvé ou créé 13 500 emplois et distribué 107 millions d’euros. Sa valeur ajoutée réside dans sa connaissance fine du tissu économique local et sa capacité à prendre des risques subordinés.
La conjonction de ces deux acteurs crée un effet de levier vertueux : Bpifrance apporte la crédibilité nationale et l’expertise en accompagnement stratégique, tandis que la SODIV sécurise l’ancrage territorial et accélère la mise en réseau avec les acteurs de l’innovation régionale.
Bon à savoir : France Investissement Régions
Lancé en 2003, ce dispositif a pour vocation d’accompagner les PME et ETI régionales dans leurs opérations de croissance et de transmission. Il intervient en actions, en obligations simples ou convertibles, ou via des prêts à long terme, et vise des horizons d’investissement de 5 à 8 ans.
Métiers et marché : comprendre la menuiserie extérieure en 2025
Le marché français de la fenêtre et de la porte pèse près de 9,5 milliards d’euros. Il est tiré par la rénovation énergétique, notamment grâce à MaPrimeRénov’, aux Certificats d’Économie d’Énergie (CEE) et aux objectifs de la réglementation RE2020, qui fixe de nouvelles normes de performance thermique et carbone.
Dans ce contexte, les entreprises capables de conjuguer :
- capacité industrielle,
- ancrage local et,
- flexibilité artisanale
disposent d’un avantage compétitif déterminant. Kovacic bénéficie d’un portefeuille produits équilibré : 40 % fenêtres PVC, 35 % aluminium, 25 % bois et mixtes. Cette palette lui permet d’adresser aussi bien le segment résidentiel premium que les marchés collectifs soumis à des critères de durabilité stricts.
Fourniture‑pose : vente et installation de menuiseries clé en main.
Négoce : vente de produits finis à des artisans ou distributeurs.
Profilés : barres de PVC ou d’aluminium extrudées servant de cadre.
Uw : coefficient de transmission thermique d’une fenêtre ; plus il est bas, meilleure est la performance énergétique.
Cap vers l’industrie 4.0 : un plan d’investissement de 3,8 millions d’euros
Au-delà du simple maintien des acquis, Pascal Rey ambitionne une modernisation profonde du site de production :
- Robotisation de la ligne vitrage : installation de bras collaboratifs pour la pose des vitrages, réduisant la pénibilité et sécurisant la qualité.
- Logiciel MES (Manufacturing Execution System) : traçabilité temps réel, tableau de bord énergétique, réduction de 15 % des consommations électriques visées.
- Atelier agile aluminium : ajout de machines à commande numérique pour séries courtes en 72 h, destinées aux chantiers de rénovation partielle.
- Plateforme digitale client : configurateur 3D en ligne, devis instantané, rendez‑vous de pose synchronisé avec l’agenda du client.
Ces investissements sont échelonnés sur cinq ans. Ils devraient porter la production annuelle à 30 000 unités, sans agrandir la surface industrielle. L’indice de productivité passera alors de 145 k€ de chiffre d’affaires par salarié à 190 k€.
Emploi et formation : un enjeu territorial majeur
La réussite du projet tient aussi à la capacité de Kovacic à recruter et à fidéliser une main‑d’œuvre qualifiée. La menuiserie extérieure combine des savoir‑faire traditionnels – pose, finitions, relation client – et des compétences technologiques de plus en plus pointues, programmation CNC, maintenance robotique, gestion de données industrielles. Pour répondre à la pénurie d’ouvriers spécialisés, l’entreprise a conclu un partenariat avec le lycée Couffignal de Strasbourg pour mettre en place une classe « Menuiserie 4.0 ». Au programme : alternance, modules d’usinage numérique, certification Qualibat.
En parallèle, un plan marque employeur sera déployé :
- Rémunération ajustée à la grille métallurgie alignée sur le quartile supérieur régional.
- Semaine de quatre jours sur la ligne aluminium pilote afin d’attirer les profils jeunes.
- Accompagnement logement en partenariat avec Action Logement pour les nouveaux entrants.
L’objectif est de créer au moins huit postes nets d’ici à 2026, dont deux ingénieurs process et six opérateurs polyvalents. À horizon 2030, les effectifs pourraient atteindre 80 salariés.
Déclinaison commerciale : conquérir le B2B et diversifier les canaux
Historiquement positionné sur la fourniture‑pose auprès des particuliers, Kovacic compte rééquilibrer son mix commercial pour faire passer la part du B2B de 25 % à 40 % du chiffre d’affaires. Pour y parvenir, trois axes sont retenus :
- Prescription architecturale : création d’un bureau dédié à la réponse aux appels d’offres et aux dossiers d’innovation.
- Show‑rooms mobiles : lancement d’un démonstrateur itinérant équipé d’une façade amovible en bois‑alu pour salons et salons professionnels.
- Marketplace artisans : plateforme e‑commerce BtoB offrant tarifs dégressifs, calcul automatique des coefficients thermiques et livraison chantier en J+2.
Cette stratégie a aussi vocation à absorber la volatilité du marché de la rénovation individuelle, très sensible aux politiques publiques. En visant les bailleurs sociaux et les promoteurs, Kovacic sécurise un volume récurrent et se positionne sur des programmes de rénovation thermique lourde (quartiers ANRU, plan de sobriété énergétique des bâtiments publics).
Responsabilité sociétale et environnementale : plus qu’un label
Le secteur de la construction est responsable d’environ 38 % des émissions mondiales de CO2. Kovacic s’est engagé à :
- Réduire de 35 % ses émissions directes d’ici à 2030, en modernisant son parc machine et en recourant à de l’électricité verte.
- Instaurer une filière de reprise des anciennes menuiseries avec trois déchetteries partenaires, pour recycler ou valoriser 80 % des matériaux.
- Développer les gammes bois certifié PEFC et aluminium recyclé à 75 %, conformément aux seuils de l’analyse cycle de vie RE2020.
- Obtenir la certification ISO 14001 fin 2026 et ISO 50001 (management de l’énergie) fin 2027.
Au-delà de la conformité réglementaire, ces engagements ouvrent l’accès à des subventions régionales (PARI Grand Est) et à des programmes européens (Life, Horizon Europe) pour financer l’innovation bas‑carbone.
Secteur de la transmission en France : un enjeu macroéconomique
Selon Bpifrance Le Lab, plus de 700 000 dirigeants partiront à la retraite d’ici à 2030. La moitié d’entre eux n’a pas encore verrouillé de plan de succession. Ce « tsunami gris » menace la pérennité d’un grand nombre de PME industrielles qui emploient localement et irriguent les filières fournisseurs. Les opérations comme celle de Kovacic montrent qu’une stratégie de financement mixte, couplée à l’accompagnement d’un cabinet spécialisé (Transversale Conseil), peut sécuriser la transmission sans sacrifier la compétitivité.
L’enjeu dépasse le seul périmètre du Grand Est. La Banque de France estime que 312 milliards d’euros de crédits nouveaux ont été accordés aux PME en 2024, mais la remontée des taux pousse les banques à resserrer les conditions d’octroi. D’où l’importance des prêts participatifs relance et des outils de garantie Bpifrance, qui jouent un rôle d’amortisseur.
Chiffres clés 2024
• 1 051 500 créations d’entreprises (INSEE)
• 312 Mds € de nouveaux crédits PME (Banque de France)
• 25 % des PME envisagent la transmission à court terme
• Âge moyen des dirigeants de PME : 51 ans
Gouvernance post‑rachat : aligner intérêts et pilotage stratégique
La gouvernance se structure autour d’un conseil d’administration resserré :
- Pascal Rey : président et actionnaire majoritaire.
- Représentants Bpifrance : deux sièges, avec droit de veto limité aux décisions stratégiques (cession, dilution supérieure à 15 %).
- SODIV : un siège observateur, impliqué dans les comités RSE et innovation.
- Un administrateur indépendant spécialisé en industrie 4.0, nommé pour trois ans renouvelables.
Cette configuration vise à garantir la réactivité décisionnelle, tout en apportant un cadre de reporting structuré. Un comité stratégique trimestriel analysera la progression des indicateurs : taux de service, performance énergétique, rythme d’intégration des nouveaux recrutés, visibilité portefeuille commandes à six mois.
Feuille de route 2025‑2030 : objectifs et jalons
Le plan stratégique validé par les investisseurs fixe des caps mesurables :
Dimension | 2025 | 2027 | 2030 |
---|---|---|---|
Chiffre d’affaires | 12 M€ | 16 M€ | 20 M€ |
Marge opérationnelle | 8 % | 9,5 % | 11 % |
Effectif total | 55 | 68 | 80 |
Part du B2B | 25 % | 33 % | 40 % |
Indice carbone (kg CO2/u) | 38 | 30 | 24 |
Un earn‑out plafonné à 1,2 million d’euros a été négocié avec la famille cédante. Il sera libéré à condition d’atteindre 18 millions d’euros de chiffre d’affaires et 10 % de marge opérationnelle en 2028. Ce mécanisme aligne les incentives de l’ancien et du nouveau management, tout en fluidifiant la trésorerie.
Enfin, quel impact pour l’économie régionale ?
La reprise de Kovacic illustre la résilience du tissu industriel alsacien. Le Grand Est compte :
- 4 500 entreprises industrielles,
- 350 000 emplois directs,
- et une spécialisation historique dans les matériaux et le bâtiment.
En consolidant une PME de menuiserie, la région évite la perte de savoir‑faire, renforce la chaîne de valeur locale (scieurs, verriers, transporteurs) et crée des passerelles avec les programmes d’innovation publics (Pôle Fibres‑Énergivie, Grand Est Transformation 4.0). Pour Bpifrance et la SODIV, l’enjeu n’est pas seulement financier. Il s’agit d’animer un écosystème, de sécuriser l’emploi et de démontrer que les transitions – numérique, écologique, générationnelle – peuvent se conjuguer sans rupture.
Regard prospectif : vers une menuiserie responsable et compétitive
À l’issue de cette opération, Kovacic possède toutes les cartes pour devenir une référence régionale dans la menuiserie extérieure bas‑carbone. La combinaison d’un management expérimenté, d’un outil industriel modernisé et d’un soutien financier patient crée une trajectoire solide. Les mois à venir seront toutefois déterminants. La réussite reposera sur :
- La capacité à absorber rapidement les recrutements et à transmettre la culture d’entreprise.
- La concrétisation des investissements 4.0 sans déstabiliser la production en série.
- Le déploiement commercial sur le B2B, secteur plus exigeant en termes de conformité et de délais.
- Le maintien d’un équilibre subtil entre rentabilité économique et responsabilité sociétale.
En conjuguant héritage artisanal et ambitions industrielles, le duo Rey‑Kovacic esquisse une trajectoire qui dépasse le cadre de la menuiserie pour incarner, à l’échelle du Grand Est, une transmission d’entreprise modèle.