MyEasyFarm accélère l’agritech bas carbone grâce à l’EIT Food
La start‑up champenoise rejoint Fast Track to Market d’EIT Food, obtient un financement et déploie ses outils de mesure carbone pour les fermes européennes.

La scale‑up champenoise MyEasyFarm a officialisé son intégration au programme Fast Track to Market de l’EIT Food assortie d’un financement stratégique, une avancée décisive qui propulse ses solutions de mesure carbone et de pilotage agronomique sur l’ensemble du continent.
Un Moteur Européen Pour L’Agritech Bas Carbone
MyEasyFarm, fondée en 2017 dans la périphérie de Reims, est née d’une conviction simple : la transition agro‑écologique ne peut réussir sans données précises et actionnables. Dans un secteur où la marge agricole subit simultanément la volatilité des cours, la flambée des intrants et des exigences réglementaires toujours plus strictes, la jeune pousse a bâti une plateforme qui collecte, harmonise et restitue des indicateurs clés au service d’une production plus durable. Depuis son village‑siège, Bezannes, la société a déjà digitalisé plus de 800 000 hectares et ambitionne de tripler ce périmètre à l’horizon 2027.
Le programme Fast Track to Market ajoute une corde à son arc en lui donnant accès à un écosystème paneuropéen d’industriels, de distributeurs et d’investisseurs spécialisés dans l’alimentation durable. Cette rampe de lancement intervient après la reconnaissance obtenue en 2024 via le réseau RisingFoodStars, première porte d’entrée vers les financements thématiques de l’EIT Food. En rejoignant l’étape Fast Track, MyEasyFarm change d’échelle : il ne s’agit plus d’affiner son produit, mais de le déployer à grande vitesse dans un contexte où les objectifs climatiques européens exigent des résultats rapides et mesurables.
Concrètement, il est prévu que l’effectif passe de 25 à 40 personnes d’ici fin 2026, avec un renforcement des pôles Data Science, Agronomie et Support Marché. Les nouveaux marchés cibles incluent l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, trois pays dont la taille agricole et les attentes réglementaires sur la CSRD en font des territoires d’expansion prioritaires.
Levier Financier
Les tickets Fast Track oscillent habituellement entre 250 000 € et 300 000 € exécutés sous douze mois. Ils prennent la forme d’un financement non dilutif couplé à une redevance plafonnée à quatre ans sur le chiffre d’affaires généré par le projet sponsorisé. Le ratio investissement/impact est ainsi optimisé pour accélérer le « time‑to‑revenue ».
Fast Track to Market : Un Accélérateur Sous Pression
Le dispositif Fast Track to Market est la réponse de l’EIT Food à un constat majeur : trop de solutions agri‑food restent confinées au stade du pilote faute de ressources commerciales et de crédibilité financière. Le programme exige des dossiers solides, appuyés par des preuves de marché tangibles comme des contrats pilotes, des métriques de rétention ou des lettres d’intention d’acheteurs. Une fois la sélection validée, les lauréats accèdent à un accompagnement intensif sur trois volets : financement, expertise sectorielle et mise en relation avec des comptes stratégiques.
Dans le cas de MyEasyFarm, cette mise en relation concerne déjà de grands noms de l’agroalimentaire tels que Danone, Sodexo et Nestlé, intéressés par la précision de ses audits carbone. Parallèlement, la jeune pousse profite d’une visibilité accrue auprès des banques de développement et des fonds spécialisés, facilitant sa future Série B estimée à huit millions d’euros.
L’EIT Food s’appuie aussi sur un réseau de mentors, souvent anciens cadres de la supply‑chain agroalimentaire européenne, pour aider les start‑ups à naviguer dans la complexité des réglementations nationales et à adapter leurs offres aux spécificités locales. Les premiers mois de Fast Track sont donc dédiés à affiner la stratégie d’entrée sur chaque marché – l’Espagne par exemple exige une intégration aux référentiels du ministère de l’Agriculture, tandis que la Pologne impose une compatibilité avec les logiciels de gestion coopérative déjà implantés.
Le parcours se déroule en quatre phases : revue du plan d’affaires (mois 1), mise à disposition du financement et des premiers mentors (mois 2‑3), tests marché et preuves de revenu (mois 4‑8), débrief stratégique et extension possible (mois 9‑12). À l’issue, les lauréats peuvent solliciter un second ticket ou préparer une levée privée, soutenus par le label EIT Food.
La Donnée Au Cœur De La Révolution Agronomique
MyEasyFarm se distingue par une architecture technologique résolument interopérable. Grâce à des connecteurs API, la plateforme ingère des flux satellitaires Sentinel‑2, des données météo haute résolution, de la télémétrie machine ISOBUS et des analyses de sols séquencées. Une couche d’intelligence artificielle agrège ces inputs et produit une image dynamique de la parcelle : émissions de gaz à effet de serre, bilan humique, potentiel de séquestration, mais aussi risques phytosanitaires et optimisation des intrants.
Depuis 2023, la société a entrepris la certification ISO 14064 de ses algorithmes de calcul carbone, une démarche qui rassure les financeurs et répond aux standards d’audit exigés par la CSRD. En parallèle, elle développe un module d’IA explicable, capable de proposer des itinéraires techniques basés sur la typologie de sol, la rotation et les conditions climatiques locales. Les recommandations – telles qu’une densité réduite d’azote ou un décalage de date de semis – sont justifiées par un score de confiance et des champs d’explication lisibles par l’utilisateur.
L’enjeu n’est pas seulement la précision scientifique ; il s’agit de transformer ces données en valeur économique. Pour un agriculteur conventionnel, un crédit carbone peut rapporter entre 35 € et 70 € par hectare et par an selon le type de pratique et le prix du marché volontaire. Les coopératives, quant à elles, valorisent la donnée auprès des industriels qui rémunèrent les démarches bas carbone via des primes qualité (blé biscuitier, betterave sucrière bas impact, etc.).
La Corporate Sustainability Reporting Directive est entrée en vigueur en Janvier 2025. Elle étend l’obligation de reporting extra‑financier à environ 50 000 entreprises européennes, imposant l’usage d’indicateurs ESG normalisés, la digitalisation des rapports au format XBRL et la certification par un auditeur tiers. La donnée agricole – souvent Scope 3 – devient cruciale pour les groupes agroalimentaires soumis à la directive.
Un Effet De Levier Financier Durable
Le financement Fast Track couvre le recrutement, la R&D et la pénétration de nouveaux marchés. Chez MyEasyFarm, la priorité va à l’embauche de cinq ingénieurs Data Science, deux responsables commerciaux multilingues et un expert conformité pour gérer les labellisations nationales (Label Bas‑Carbone en France, Carbon Farming Initiative en Allemagne, etc.). La société prévoit également la création d’un centre de support technique multilingue à Milan afin de mieux servir les utilisateurs italiens, espagnols et portugais.
À moyen terme, MyEasyFarm vise un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2028, reposant sur un modèle SaaS à abonnement et un pourcentage de transaction sur les crédits carbone négociés. Les marges devraient bénéficier d’économies d’échelle : plus la base de données grandit, plus l’algorithme apprend et réduit le coût d’analyse par hectare.
Le plan de financement inclut une série B d’environ huit à dix millions d’euros, majoritairement en capital, destinée à soutenir l’expansion géographique et à accélérer la R&D sur la tokenisation des certificats. Les investisseurs cibles sont des fonds à impact, des corporates agroalimentaires et des institutions financières cherchant à compléter leur portefeuille vert.
Impacts Concrets Pour Les Exploitations Françaises
La France constitue le premier marché historique de MyEasyFarm. D’ici fin 2026, 2 300 exploitations supplémentaires auront accès à un diagnostic carbone simplifié reconnu par l’ADEME. Les bénéfices attendus se déclinent en trois volets : augmentation de la prime bas carbone, réduction de 15 % de la consommation d’engrais grâce à la modulation de doses, et baisse de moitié du temps nécessaire à la création d’un dossier HVE 3 ou SBTi.
Sur le terrain, des agriculteurs tels que Nicolas Gimenez (département de l’Aube) témoignent d’une prime de 18 € par tonne de blé grâce à une variabilité d’azote optimisée. Dans l’Oise, la coopérative Vivescia a réduit de 28 heures à 14 heures le temps de collecte des pièces justificatives pour un programme bas carbone céréalier, libérant ainsi des ressources pour le conseil agronomique.
Pratiques favorisant la restauration de la fertilité des sols, l’augmentation de la biodiversité fonctionnelle et la séquestration de carbone. Elles incluent la réduction du travail du sol, l’introduction de couverts végétaux, l’allongement des rotations et l’intégration de légumineuses.
L’Enjeu Juridique : Entre Taxonomie Verte Et PAC 2028‑2034
La convergence réglementaire accélère l’adoption d’outils MRV (Measure, Report, Verify). La Science Based Targets Initiative impose une réduction de 30 % des émissions agricoles d’ici 2030, créant une pression forte sur les transformateurs pour tracer leur Scope 3. La taxonomie verte, quant à elle, conditionne l’accès au financement et aux obligations vertes à la démonstration d’activités alignées sur une trajectoire de 1,5 °C. Enfin, la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) 2028‑2034 introduira un bonus « climat » directement indexé sur la séquestration réelle des sols, ouvrant la voie à des paiements écologiques incitatifs.
MyEasyFarm anticipe ces mutations en élaborant des connecteurs API vers les registres nationaux et le futur registre européen MRV. Cette interopérabilité garantit que les données collectées peuvent être exportées, vérifiées et valorisées sans ressaisie, réduisant considérablement le coût de conformité pour les agriculteurs et les industriels.
MyEasyFarm : Histoire, Valeurs Et Trajectoire
La genèse de MyEasyFarm repose sur la complémentarité entre agronomes et ingénieurs. François Thierart, ancien responsable de l’innovation pour un constructeur de machines agricoles, s’associe en 2017 à Guillaume Leclerc, docteur en informatique appliquée aux SIG. Leur idée fondatrice est d’utiliser la télémétrie machine, alors largement sous‑exploitée, pour moduler les intrants en temps réel. La première brique logicielle, sortie début 2018, permet d’exporter des cartes de modulation vers les consoles embarquées.
En 2020, la prise de conscience climatique et la dynamique du Grenelle de l’environnement incitent l’équipe à élargir le périmètre : il ne s’agit plus seulement d’optimiser les intrants, mais de quantifier l’empreinte carbone et la séquestration. C’est la naissance du pivot « bas‑carbone ». Le label French Tech Green20 obtenu la même année crédibilise la démarche et attire les premiers investisseurs externes.
En 2023, MyEasyFarm dépasse 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires, en progression de 75 % sur un an, avec des clients majeurs tels que Tereos, Vivescia et Ebro Foods. L’entrée dans RisingFoodStars en Février 2024 puis Fast Track en Juin 2025 marque une trajectoire ascendante qui place la start‑up parmi les références européennes de l’AgTech.
Paroles D’Experts Et Retours De Terrain
Pour la Dre Marie‑Hélène Dufour, enseignante‑chercheuse à AgroParisTech, « les plateformes MRV de seconde génération sont indispensables afin que les filières agro‑alimentaires puissent démontrer leur durabilité et accéder aux marchés premium ». Elle souligne surtout la dimension pédagogique : la visualisation des indicateurs de biodiversité rend plus concrètes des notions souvent abstraites pour l’agriculteur.
Côté industriel, le groupe sucrier Tereos rapporte avoir réduit de 11 % l’empreinte carbone de son blé français en deux campagnes, grâce à l’identification des parcelles à fort potentiel de réduction et à la généralisation des couverts végétaux. L’entreprise évoque aussi une meilleure résilience face aux fluctuations du marché des matières premières, les primes durabilité compensant partiellement les variations de cours.
Chez Vivescia, coopérative céréalière ancrée dans le Grand‑Est, les équipes estiment avoir divisé par deux le temps requis pour les dossiers HVE 3. Cette productivité libère des ressources humaines pour développer de nouveaux services, comme l’accompagnement à la certification carbone volontaire ou la mise en place de régimes de primes différenciées.
Perspectives Technologiques : IA, Blockchain Et Certificats Tokenisés
MyEasyFarm investit massivement dans l’automatisation et la traçabilité. Le module d’IA explicable, en phase bêta, analyse des milliers de scénarios culturaux et recommande des itinéraires tenant compte de la rentabilité agronomique et de la réduction d’émissions. Les retours utilisateurs montrent un gain potentiel de 7 % sur la marge brute et une économie moyenne de 48 kg CO₂eq / ha.
La société explore également la tokenisation des certificats carbone afin de réduire le coût de transaction et garantir l’unicité des crédits. Chaque tonne de CO₂ évitée ou séquestrée pourrait être représentée par un jeton inviolable, simplifiant les échanges sur les marchés volontaires tout en offrant une auditabilité quasi instantanée.
Enfin, MyEasyFarm participe à un consortium travaillant sur la normalisation des modèles de données agro‑environnementales au sein du cloud souverain Gaia‑X, une initiative européenne visant à sécuriser le stockage et le partage des données stratégiques. Ce choix assure la conformité avec le RGPD et protège la souveraineté des producteurs européens.
Comment La France Capitalise Sur L’AgTech
Le succès de MyEasyFarm s’inscrit dans une stratégie nationale ambitieuse. Le plan France 2030 alloue deux milliards d’euros à l’agriculture durable, dont 500 millions spécifiquement orientés vers la digitalisation des exploitations. Bpifrance et les Régions, telles que le Grand‑Est ou l’Occitanie, complètent ce financement en subventionnant à hauteur de 40 % les outils MRV déployés par les agriculteurs.
Par ailleurs, la Banque Des Territoires a mis en place une ligne de crédit verte bonifiée pour les coopératives qui investissent dans des solutions de mesure carbone, réduisant le coût d’emprunt d’environ 75 points de base. Les Chambres d’Agriculture, de leur côté, jouent un rôle d’intermédiation en formant les conseillers de terrain à l’utilisation de plateformes comme MyEasyFarm.
Enfin, le récent partenariat entre la plateforme et l’Établissement Public FranceAgriMer ouvre la porte à un outil national d’estimation de la séquestration, intégré à la télédéclaration PAC. Cette collaboration pourrait faire de la France l’un des premiers pays à disposer d’un registre bas carbone public adossé aux données de terrain.
Cap Vers Une Alimentation Résiliente Et Transparente
La progression de MyEasyFarm symbolise l’émergence d’une agriculture de la preuve. En misant sur la donnée vérifiable et l’action climatique mesurable, la start‑up ne se contente pas d’ajouter une couche numérique ; elle réécrit le contrat de confiance entre producteurs, financeurs et consommateurs. Dans un contexte où les crises successives – climatiques, sanitaires, géopolitiques – fragilisent les chaînes d’approvisionnement, la transparence devient une valeur marchande autant qu’un impératif éthique.
Le passage à l’échelle offert par Fast Track to Market prouve qu’il existe un marché réel pour les solutions qui concilient impact environnemental et retour sur investissement. Demain, les exploitations agricoles pourront accéder plus facilement aux revenus complémentaires des crédits carbone, aux primes qualité et à des coûts d’assurance modulés par leur bilan d’émissions. Les industriels, quant à eux, disposeront d’indicateurs robustes pour rassurer le consommateur final.
Dans cette économie de la transition, la France a l’occasion de se positionner comme hub de la donnée agricole sécurisée, en capitalisant sur ses infrastructures cloud, ses instituts de recherche et son patrimoine agricole diversifié. Le succès de MyEasyFarm offre un exemple concret de la manière dont stratégie publique, innovation privée et exigence réglementaire peuvent converger vers un objectif commun : un système alimentaire européen réellement résilient, bas carbone et rentable.
Parier sur la mesure et la transparence, c’est déjà préparer l’assiette de demain.