Entre alliances secrètes et ambitions XXL, la jeune pousse française H company vient de faire parler d’elle en rachetant, sans grand tapage, une autre startup hexagonale axée sur les agents IA. Cette opération s’est conclue au second semestre 2024. Au-delà de l’aspect mystérieux, ce rachat témoigne d’une stratégie plus large : capitaliser sur l’automatisation web et lancer une nouvelle génération d’agents autonomes capables d’innover dans des marchés toujours plus concurrentiels.

Les secrets d’une acquisition sous le radar

Peu d’informations ont filtré sur la transaction : la startup parisienne Mithril Security, initialement spécialisée dans la cybersécurité, a été rachetée par H company lors d’une opération restée sous silence pendant plusieurs mois. Le montant exact n’a pas été communiqué, et la discrétion de H sur le sujet alimente les spéculations parmi les observateurs du secteur.

Fondée en 2021, Mithril Security s’était distinguée par ses solutions open-source destinées à garantir la confidentialité dans la formation de l’IA. Ces mêmes technologies ont permis à l’entreprise de remporter des financements notables, notamment 1,2 million d’euros en juin 2023 puis 1 million de dollars via le Cybersecurity Grant Program d’OpenAI en janvier 2024. Au fil du temps, la jeune pousse a pivoté vers un nouveau produit nommé LaVague, dédié à la création d’agents IA autonomes capables de naviguer sur le web, d’interagir avec des bases de données et d’exécuter des tâches sans recourir à une seule ligne de code.

Du côté de H company, le mutisme est complet. Sollicités par différents médias français, les représentants de la firme n’ont émis aucun commentaire sur cette reprise, préférant se focaliser sur leurs projets en cours. On sait seulement qu’une partie de l’équipe de Mithril Security a intégré H, même si Daniel Huynh, CEO de la startup acquise, aurait depuis quitté l’aventure.

H company : portrait d’un spécialiste en IA générative

Si H company reste discrète dans sa communication, elle n’en est pas moins considérée comme l’une des plus grosses levées de fonds françaises de 2024. Créée la même année, l’entreprise a bouclé un tour de table de 220 millions d’euros en mai 2024, avec la participation de noms prestigieux : Eric Schmidt, ancien PDG de Google, Xavier Niel, Aglaé Ventures (le fonds d’investissement de Bernard Arnault) et Motier Ventures, le family office de la famille propriétaire des Galeries Lafayette. Cette accumulation de capitaux place H dans une position confortable pour multiplier les acquisitions et se forger un écosystème complet autour de l’IA générative et de l’automatisation.

Bien que la startup n’ait que peu de mois d’existence au moment de sa levée, elle a déjà fait face à des turbulences internes. Trois cofondateurs auraient quitté la structure peu après l’arrivée des nouveaux fonds. De l’extérieur, ce remaniement intrigue autant qu’il suscite des hypothèses : est-ce un désaccord stratégique ou un simple réalignement des directions produits ? Pour l’heure, impossible d’en savoir plus. H a depuis resserré sa gouvernance, optant pour un management éclair, tourné vers l’exploration rapide de solutions dans le domaine de l’IA.

L’IA générative, comme son nom l’indique, est capable de produire de nouveaux contenus (textes, images, sons, vidéos) à partir de grands modèles de langage (LLM) ou de réseaux de neurones spécialisés. Contrairement aux systèmes traditionnels, elle n’exécute pas uniquement des tâches prédéfinies mais peut générer des réponses créatives et contextualisées.

Face à l’ébullition du marché, H company semble déployer une stratégie à plusieurs volets : disposer de solutions propriétaires en IA pour la navigation et l’automatisation de tâches sur internet, acquérir des pépites françaises avec un fort potentiel open-source et, enfin, déployer des verticales sectorielles pour asseoir son expertise technique. Cette acquisition de Mithril Security participe clairement à cette logique d’expansion, tout en renforçant le socle technologique de l’entreprise.

Mithril Security : de la cybersécurité au pivot vers l’automatisation

Mithril Security s’est fait remarquer dès 2021 en développant des outils visant à sécuriser la formation des algorithmes de machine learning. Cette approche a alors séduit plusieurs fonds d’investissement et organisations promouvant la confidentialité. Mais au début de l’année 2024, changement de cap : la startup décide d’allouer ses ressources à LaVague, un ambitieux projet d’« agents web » capables d’agir en autonomie complète.

L’idée est simple : proposer une interface plug-and-play accessible à toute entreprise, même sans compétences en programmation, pour automatiser des tâches sur Internet. Les applications sont infinies : veille concurrentielle, gestion de données financières, screening légal, automatisation de procédures administratives… Chaque agent est supposé naviguer sur le web, interpréter des instructions complexes et prendre des décisions contextualisées sans nécessiter de supervision humaine constante. Pour la jeune pousse, cette pivotation traduit la nécessité de répondre à un marché en pleine mutation : la cybersécurité demeure un enjeu, mais les nouveaux marchés autour des agents IA explosent.

Bon à savoir

De plus en plus de startups, tous secteurs confondus, se tournent vers les agents IA. Leur principal atout ? Gagner du temps sur des tâches répétitives et standardisées, tout en exploitant des technologies conversationnelles avancées pour des missions à plus forte valeur ajoutée.

Du point de vue de la concurrence, ce « pivot » vers l’automatisation s’inscrit dans une tendance mondiale. Les géants de la tech comme Anthropic, OpenAI ou encore Google misent sur leurs IA conversationnelles pour construire de véritables agents capables de gérer des processus de bout en bout. Pour Mithril Security, opérer ce tournant dès 2024 leur a permis de se faire remarquer par H company, cherchant elle-même à muscler ses compétences dans ce champ d’application précis.

Pourquoi cette acquisition est-elle stratégique ?

En rachetant Mithril Security, H company ne se contente pas d’ajouter une brique « sécurité » à son écosystème. Elle met aussi la main sur une équipe R&D qui a déjà démontré sa capacité à innover, notamment en matière d’agents d’exploration de données. Au-delà de la simple complémentarité de produits, l’opération dessine un horizon plus large : H semble vouloir diversifier ses verticales et réduire sa dépendance à un seul segment de marché, à savoir l’IA générative pour la navigation web.

De plus, l’appétit pour les open-source frameworks n’est pas anodin. Les solutions développées par Mithril Security, dès l’origine, s’appuyaient sur des communautés open-source, leur conférant une visibilité importante auprès des développeurs et des data scientists. En s’en emparant, H company se dote à la fois d’un socle technique et d’un vivier potentiel d’utilisateurs ou de contributeurs prêts à tester, améliorer et déployer leurs futurs produits.

Contrairement aux solutions propriétaires, l’open source peut accélérer l’adoption d’une technologie en permettant à une communauté de se l’approprier, d’y contribuer et de l’améliorer. Cela facilite l’émergence d’un écosystème dynamique et renforce la crédibilité auprès des entreprises cherchant transparence et flexibilité.

S’ajoute à cela un constat sur le marché : les entreprises chinoises et américaines dominent largement la course à l’automatisation et aux agents IA. Pour se distinguer, H company doit innover rapidement et proposer des solutions suffisamment robustes pour rivaliser avec les géants. L’intégration de l’expertise de Mithril Security s’avère donc un pas de plus vers un positionnement de leader européen – au moins dans certains domaines niches comme la navigation web autonome ou la sécurisation des flux de données.

Focus sur Runner H et Tester H, les pièces maîtresses

Fin 2024, H company a dévoilé son premier agent d’automatisation, Runner H. Cet outil se présente comme un « navigateur intelligent » capable d’éplucher en temps réel des sites internet, d’extraire des informations pertinentes et même de prendre certaines décisions basées sur des règles préétablies. Selon WebVoyager, un indice de référence pour évaluer la performance des agents de navigation en ligne, la première version de Runner H aurait atteint 67 % de réussite, surpassant alors Claude, l’agent d’Anthropic, qui plafonnait à 52 %.

Au fil des mois, cependant, la concurrence s’est intensifiée. Claude, Bard ou même Bing Chat ont peaufiné leurs solutions, rivalisant à leur tour avec Runner H. Malgré tout, Sifted rapporte que la dernière itération, encore en phase de test privé chez H, afficherait des performances toujours plus élevées. C’est dans la continuité de ce succès que la société planche désormais sur Tester H, une version spécialisée dans la détection d’anomalies et de failles potentielles, notamment destinées aux grands comptes soucieux de valider leurs processus métiers.

De son côté, Mithril Security, avec LaVague, possédait déjà une expertise reconnue pour la création d’agents web sur-mesure. Si l’on met bout à bout les atouts de Runner H et de LaVague, il devient évident que H company vise à consolider un ensemble d’agents parfaitement complémentaires : l’un pour automatiser, l’autre pour développer et configurer, et un troisième pour tester et vérifier.

Runner H : axé sur l’exécution et la navigation, conçu pour collecter et traiter des données web de manière automatique.

Tester H : focalisé sur la validation, l’évaluation des process et la recherche d’éventuelles vulnérabilités ou incohérences.

Une course mondiale à l’automatisation : enjeux et perspectives

L’appétit pour les agents IA ne se limite pas à la France. Partout dans le monde, des start-up et des grands groupes investissent massivement pour créer des outils de plus en plus sophistiqués. Les secteurs concernés sont multiples : e-commerce, finance, juridique, cybersécurité, ressources humaines… Chaque domaine voit émerger des besoins précis en automatisation, qu’il s’agisse de vérifier la conformité réglementaire, de trier des offres ou encore de surveiller en continu l’actualité boursière.

Selon plusieurs analystes, la prochaine décennie verra l’explosion de l’IA opérationnelle, c’est-à-dire la capacité d’un logiciel à exécuter, non pas une unique fonction, mais un éventail de tâches transversales. L’enjeu pour H company est de se positionner comme un acteur incontournable de cette évolution, en fournissant des agents parfaitement intégrés et adaptables à différents environnements. Dans le même temps, le déploiement de nouvelles technologies soulève des questions éthiques et réglementaires, surtout lorsque l’agent prend des décisions de manière quasiment autonome.

Les investissements massifs dans ces technologies viennent également des États-Unis, où la Silicon Valley demeure un foyer d’innovation, mais aussi d’Asie, avec la Chine et la Corée du Sud en tête de file. Les positions acquises aujourd’hui pourraient se révéler déterminantes pour la suite, et H company, avec cette acquisition, cherche visiblement à ne pas se laisser distancer. En France, l’écosystème demeure dynamique, mais il reste encore à voir si les acteurs nationaux sauront saisir leur chance sur ce marché mondial ultra-compétitif.

L’écosystème français de l’IA face à l’offensive des géants

La France, forte de ses formations en mathématiques et en ingénierie, affiche une volonté de se positionner comme un hub européen de l’intelligence artificielle. Des programmes d’envergure ont vu le jour pour soutenir la recherche et l’innovation, à l’image du Plan France IA. Dans ce contexte, l’exemple d’H company est souvent cité comme le symbole d’une nouvelle génération d’entrepreneurs français qui cherchent à défier les GAFAM et les BATX sur le terrain de l’IA appliquée.

Cependant, le principal défi pour les scale-up tricolores consiste à conserver leur identité et leur savoir-faire lorsqu’elles commencent à grandir. Les problèmes de gouvernance interne, déjà aperçus chez H, ne sont pas rares : le départ de cofondateurs après une levée de fonds record illustre la complexité de concilier vision entrepreneuriale, exigences des investisseurs et stratégie de croissance. Par ailleurs, la raréfaction des talents spécialisés en IA pousse de plus en plus d’entreprises à se battre pour attirer ou retenir les meilleurs profils.

Focus sur la concurrence

Anthropic : Cette startup soutenue par Google se spécialise dans la recherche IA et le développement d’agents conversationnels (Claude).
OpenAI : Créateur de ChatGPT, particulièrement en pointe sur la génération de texte et d’images, poursuit également le déploiement de solutions pour l’automatisation de tâches complexes.
Google : Avec Bard et d’autres services adossés à Google Cloud, le géant californien entend se positionner en pionnier des agents intelligents multi-domaines.

Dans ce panorama, H company bénéficie d’un avantage certain : elle est née récemment, donc avec la capacité d’aller très vite. Son rachat de Mithril Security prouve que la startup n’hésite pas à faire appel à des expertises externes pour consolider son offre. Reste à savoir si cette dynamique se traduira par un leadership durable au sein de l’Hexagone et au-delà.

Investisseurs prestigieux et soutiens majeurs

L’autre facteur déterminant dans la réussite potentielle de H réside dans son cercle de financeurs. L’implication d’Eric Schmidt (ex-CEO de Google) lui confère un rayonnement international, tandis que la présence de Xavier Niel assure un ancrage solide dans l’écosystème français. Le soutien d’Aglaé Ventures, organe d’investissement de Bernard Arnault, confirme la volonté de miser sur les nouvelles technologies. Enfin, Motier Ventures, la branche de la famille Houzé (Galeries Lafayette), offre une perspective plus large sur la distribution et la gestion de la relation client.

Avec de tels soutiens, la société dispose des ressources nécessaires pour s’engager dans des projets R&D ambitieux, multiplier les partenariats commerciaux et internationaliser son offre. C’est précisément ce cocktail de moyens financiers et d’expertises multiples qui la différencie d’autres startups en phase d’hypercroissance, souvent freinées par un manque de capitaux ou de réseaux.

Du point de vue purement économique, lever 220 millions d’euros en si peu de temps après la création témoigne non seulement de la confiance des investisseurs, mais aussi d’une volonté de placer la France sur la carte mondiale de l’IA. Les tensions internes qui ont suivi la levée de fonds font partie de la vie de nombreuses jeunes entreprises, confrontées à une gouvernance plus complexe. Si H parvient à gérer ces changements en douceur, elle pourrait rapidement s’ériger en champion national, voire européen, de l’automatisation.

Les prochaines étapes d’H company

Difficile de connaître l’intégralité de la feuille de route d’H company, tant la startup cultive un certain mystère. Néanmoins, plusieurs signaux laissent entrevoir ses intentions à court et moyen terme. D’abord, l’intégration réussie des équipes de Mithril Security autour du projet LaVague semble prioritaire : fusionner les expertises pour accélérer la mise sur le marché de nouveaux agents IA, capables de surfer sur la vague de la navigation autonome et de couvrir un large spectre de besoins professionnels.

Ensuite, l’entreprise mise sur ses produits Runner H et Tester H pour montrer aux investisseurs et aux clients potentiels l’étendue de son savoir-faire. Runner H a déjà impressionné par ses performances, et Tester H, orienté davantage vers l’audit et la validation, devrait répondre à des attentes fortes, en particulier dans des secteurs aussi sensibles que la finance ou la santé. Des partenariats stratégiques, voire des pilotes industriels, pourraient rapidement se multiplier.

Sur le plan législatif, la France et l’Union européenne développent actuellement de nouvelles réglementations en matière d’IA (notamment l’EU AI Act). Pour rester dans les clous, H company doit anticiper ces évolutions, surtout si elle entend déployer des agents IA hautement autonomes, potentiellement capables de collecter et de traiter des données personnelles ou confidentielles. En acquérant Mithril Security, elle se dote d’une expertise solide dans la gestion éthique et sécurisée des données, ce qui pourrait lui donner un avantage concurrentiel sur le marché européen.

Un horizon qui s’élargit

Après une levée de fonds record, un remaniement capitalistique et le rachat stratégique de Mithril Security, H company se place comme un acteur majeur de l’automatisation basée sur l’IA en France. La dynamique du marché, portée par un engouement planétaire pour les agents IA, devrait favoriser l’émergence de solutions de plus en plus sophistiquées. Les défis sont cependant nombreux : concurrence féroce, adaptation réglementaire, recrutements sous tension. Mais pour H, chaque obstacle peut aussi se transformer en opportunité.

Dans cette course à l’innovation, la réussite repose sur un subtil équilibre entre technologie, talent et financement. L’aventure de H company illustre parfaitement cette équation, annonçant de probables secousses dans le paysage européen de l’intelligence artificielle.