Le partenariat entre la coopérative EMC2 et SUEZ nourrit un débat majeur : comment passer d’initiatives dispersées à une filière méthanisation pleinement intégrée au tissu économique du Grand Est ? À travers cet accord signé le 2 juin 2025, les deux acteurs entendent conjuguer ressources agricoles, expertise déchets et financements pour accélérer la production de gaz vert local.

Une alliance structurante pour la bioénergie régionale

Landres et Villers‑le‑Lac servent déjà de vitrines techniques à la démarche : deux unités collectent des effluents d’élevage dans un rayon de sept kilomètres et injectent le biométhane dans le réseau. En nouant un partenariat global, EMC2 capitalise sur l’ingénierie de SUEZ (plusieurs sites de digestion et un savoir‑faire complet : tri, stabilisation, injection) afin de multiplier ces implantations dans le Grand Est. Les directions générales respectives, Gérard Teboul pour SUEZ Organique et Arnaud Le Grom de Maret pour EMC2, ont paraphé un accord de long terme incluant co‑développement de projets, mutualisation d’équipes et partage de revenus issus des garanties d’origine.

Le moteur économique : sécuriser les revenus agricoles

Depuis 2020, le groupe coopératif a investi dans la méthanisation pour transformer les fumiers bovins et porcs en deux flux : un gaz renouvelable valorisé entre 85 € et 120 €/MWh grâce au tarif d’achat et des certificats de production de biogaz, et un digestat riche en azote distribué sans coût de transport aux adhérents. Cette double recette stabilise la trésorerie des exploitations sur quinze ans – une durée cohérente avec les contrats d’obligation d’achat fixés par l’arrêté tarifaire révisé le 29 avril 2025.

Chiffres clés à retenir

50 % d’effluents d’élevage dans l’alimentation des digesteurs ; 2 400 foyers déjà alimentés en gaz vert ; 98 % d’émissions CO₂ évitées : la traction économique rime avec impact climatique mesurable.

Un levier environnemental à haute intensité carbone évitée

Chaque tonne de digestat substitue jusqu’à 110 kg d’engrais azotés de synthèse ; chaque MWh injecté supprime 227 kg de CO₂ équivalent (facteur officiel de conversion ADEME). Cumulé sur la production actuelle des deux sites, la réduction atteint 5 300 tCO₂/an. En France, 731 sites injectent déjà 13,8 TWh de biométhane – l’équivalent de deux réacteurs nucléaires – et l’accord EMC2‑SUEZ vise à ajouter 240 GWh supplémentaires d’ici 2030.

Dans un digesteur chauffé à 38 °C, les bactéries transforment matières organiques en biogaz (60 % CH₄) puis en biométhane après épuration. Le résidu solide, le digestat, est stocké en cuve avant épandage ou pelletisation.

Répondre aux nouvelles obligations de tri des biodéchets

L’obligation entrée en vigueur le 1er janvier 2024 – inscrite dans la loi AGEC 2020 – impose aux collectivités de collecter les biodéchets séparément. Les élus manquent parfois de solutions locales ; l’implantation d’unités territoriales de méthanisation devient alors un service public de proximité, offrant un exutoire légal aux tonnages alimentaires triés à la source. Le modèle EMC2‑SUEZ anticipe cette demande : SUEZ apporte la logistique (bacs marron, quais de transfert) et la garantie de traitement, tandis qu’EMC2 valorise le digestat sur parcelles céréalières.

Le Code de l’environnement (art. L541‑21‑1‑1) étend le tri à la source à tous les ménages et professionnels sous peine d’amende. Les collectivités peuvent mutualiser les flux avec des plates‑formes de méthanisation ou de compostage.

Tarifs d’achat : un cadre financier en mutation

L’arrêté du 13 juin 2023 – mis à jour trimestriellement – crée un coefficient J supplémentaire d’indexation pour compenser l’inflation des intrants (acier, génie civil). Le tarif de base, compris entre 92 € et 128 €/MWh PCS selon la taille et la part d’effluents, est assorti d’une dégressivité de 0,5 % par trimestre ; il est complété par les Certificats de Production de Biogaz (CPB), dont le cours oscille entre 15 € et 25 € le MWh depuis début 2025. Investisseurs et agriculteurs peuvent ainsi boucler un plan de financement sur douze ans, avec un TRI cible de 7‑9 %.

Études de gisement (6 mois) → Permis ICPE (12 mois) → Bouclage financier et choix EPC (6 mois) → Construction et mise en service (14 mois). Au total : un porteur de projet compte en moyenne 38 mois entre l’esquisse et l’injection.

Qui sont EMC2 et SUEZ Organique ?

EMC2, coopérative ancrée dans la plaine lorraine depuis 1932, rassemble 5 200 exploitants et pèse 980 M€ de chiffre d’affaires. Son pôle « Méthanisation » occupe douze salariés dédiés. SUEZ Organique, filiale du groupe SUEZ, opère 21 unités de digestion et 30 plate‑formes de compostage en France, traitant 2,3 Mt de déchets organiques par an. Ensemble, ils comptent déployer cinq nouveaux sites de 250 Nm³/h chacun d’ici 2028, soit la consommation annuelle de 17 000 foyers.

Pourquoi SUEZ ?

L’entreprise dispose d’un retour d’expérience de plus de 30 ans sur la digestion anaérobie, d’un laboratoire interne certifié COFRAC et d’équipes capables d’optimiser le pouvoir méthanogène des substrats avec un taux d’utilisation des unités supérieur à 92 %.

Un marché en forte consolidation

Avec 13,8 TWh injectés fin 2024 et un objectif gouvernemental de 34 TWh en 2030, les rapprochements industriels se multiplient : TotalEnergies a acquis Fonroche Biogaz, Engie Bioz remonte la chaîne de valeur, tandis que Cérèsia et Téréga Solutions lancent leurs propres hubs territoriaux. L’accord EMC2‑SUEZ illustre ce mouvement d’intégration où logisticiens déchets, énergéticiens et coopératives recherchent des synergies afin de massifier les volumes, réduire les coûts unitaires et sécuriser l’amont agricole.

Cap sur une bioénergie compétitive et ancrée dans les territoires

En mariant savoir‑faire agricole et expertise déchets, EMC2 et SUEZ dessinent une filière où l’énergie se cultive, au sens littéral : un fumier autrefois coûteux devient un revenu, un déchet urbain ré‑alimente les sols, et le gaz fossile laisse place à un vecteur renouvelable produit à moins de dix kilomètres des chaudières qu’il alimente. Au‑delà du Grand Est, leur modèle pourrait préfigurer une coopération public‑privé reproductible : financements adossés à des contrats longs, collectivités délégantes et agriculteurs actionnaires.

Une méthanisation territoriale, résiliente et rentable : telle est la promesse stratégique qui se concrétise à travers cet accord décisif.