Quelles sont les avancées de Duralex depuis sa transformation en SCOP ?
Découvrez comment Duralex se redresse après sa transformation en SCOP, avec des objectifs clairs pour 2025.

Un an après l’entrée de Duralex en Société coopérative et participative, la verrerie du Loiret redresse la tête. Les salariés-actionnaires ont pris les commandes à l’été 2024, relancé les volumes et serré les coûts, avec un mot d’ordre lisible : faire repartir l’usine, préserver l’emploi et remettre la marque française au centre des rayons en France et à l’export.
Gouvernance coopérative et pouvoir salarié : un virage assumé
La bascule en SCOP s’est traduite par un partage du pouvoir inédit à l’échelle du site. Deux tiers des salariés ont injecté entre 500 et 2 000 euros dans le capital, afin de sécuriser le rachat et d’ancrer le contrôle au sein de l’équipe. Les 243 collaborateurs demeurent en poste, désormais parties prenantes des décisions stratégiques.
Sur le terrain, ce choix emporte des effets concrets. Un comité d’administration se réunit chaque mois.
Les chiffres d’activité, les marges et les informations clients sont partagés pour fluidifier les arbitrages de production et de commerce. Les rémunérations n’ont pas été relevées en 2024, ce qui a contribué à la stabilisation de la trésorerie. Le pari est clair : préserver les postes et retrouver du résultat avant d’ouvrir des discussions salariales plus offensives.
Le soutien interne est réel, sans être unanime. D’après un article de presse publié début août 2025, environ 60 % du personnel soutient activement le projet coopératif.
Des figures de l’atelier, comme le délégué syndical CFDT Suliman El Moussaoui, décrivent un attachement à la marque patiemment construit au fil des années. La légitimité du collectif repose sur cette fidélité industrielle, mais aussi sur une gouvernance où chaque voix pèse.
En droit français, une SCOP est une société commerciale classique par sa forme, mais coopérative par sa gouvernance. Le principe est « une personne, une voix », indépendamment du montant investi. Les salariés détiennent la majorité du capital et des droits de vote.
Les résultats peuvent être répartis en trois blocs : mise en réserve (pour consolider les fonds propres), participation/intéressement (versé aux salariés), rémunération du capital (plafonnée). Le statut organise également des mécanismes de rachat des parts lors des départs, afin d’assurer la continuité du collectif et d’éviter la spéculation. Pour une entreprise industrielle, ces dispositifs sécurisent la mission productive dans le temps long.
La SCOP n’efface pas les tensions inhérentes au pilotage industriel. Le rythme d’investissement et la gestion de la dette d’exploitation restent au cœur des débats. Une partie des équipes exprime une impatience grandissante face à l’usure d’une partie des installations. De fait, la nouvelle gouvernance se construit dans l’arbitrage permanent entre urgence opérationnelle et discipline financière.
Atelier de meung-sur-loire : deux lignes actives, la troisième attendue en 2026
La reprise est visible dans l’usine, mais se fait par paliers. Deux lignes de production sur trois tournent aujourd’hui, la troisième devant être reconfigurée et relancée en 2026. Cette montée en cadence progressive répond à un impératif : sécuriser le flux, retrouver un niveau de qualité constant et étaler la dépense en maintenance.
En un an, 17 recrutements ont été effectués. Le site consolide ainsi ses compétences en réglage, maintenance et contrôle qualité, métiers clés pour un process continu à haute température.
Des chefs d’équipe et régleurs expérimentés, à l’image de Stéphane Lefevre, pointent toutefois un déficit d’investissements sur certains segments techniques. Four, trempe, robotique de palettisation : la liste des upgrades potentiels témoigne d’une usine à la croisée des chemins.
La réalité énergétique pèse. La trempe du verre est un procédé intensif en gaz et électricité, où la moindre dérive de coût peut rogner les marges. Les arbitrages de planification doivent absorber la volatilité, tout en garantissant des cadences qui respectent les standards de résistance mécanique et thermique propres à la marque Duralex.
Le verre trempé exige une montée en température rapide puis un refroidissement contrôlé pour créer des contraintes internes qui lui confèrent sa résistance. Chaque cycle consomme de l’énergie.
Les gains d’efficience proviennent de plusieurs leviers : rendement des fours, récupération de chaleur fatale, pilotage fin des températures, réduction des temps d’arrêt. L’investissement dans l’instrumentation et la maintenance préventive est souvent amorti en quelques années si les volumes se maintiennent. En période de prix élevés du gaz et de l’électricité, ces leviers pèsent doublement sur le compte de résultat.
Au quotidien, la production s’organise autour d’un socle iconique : gobelets, saladiers, assiettes en verre trempé qui ont fait la réputation de Duralex. La relance passe par des séries maîtrisées, des volumes concentrés sur les références les plus demandées et une vigilance accrue sur les non-conformités. L’objectif de redémarrage de la ligne 3 en 2026 concentre les attentes : sans elle, le saut de productivité et la diversification des formats resteront limités.
Bon à savoir : ce que change le statut SCOP pour les salariés de l’industrie
Dans une SCOP industrielle, la participation des salariés au capital s’accompagne souvent :
- d’une diffusion régulière des indicateurs : carnet de commandes, taux de rebut, taux de service, marge par gamme ;
- d’un droit de vote effectif en assemblée sur les grandes orientations ;
- d’un intéressement plus étroitement corrélé aux performances ;
- d’une responsabilité accrue sur la tenue des coûts et la qualité.
Ce cadre renforce la culture de résultat et de transparence, sans exonérer l’entreprise des exigences financières d’un site industriel énergivore.
Chiffres 2024-2025 : activité en hausse et discipline de prix
Duralex a terminé 2024 avec 26 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour 2025, la trajectoire de l’activité s’oriente à la hausse, avec une prévision de 31 millions d’euros.
La direction a appliqué une hausse de prix limitée à 2 %, assumant un renforcement de la compétitivité prix pour réalimenter le carnet de commandes et reconquérir les linéaires. Cette posture commerciale a contribué à la reprise des volumes, malgré des coûts énergétiques encore élevés.
La société n’est pas encore rentable. La direction s’est fixé un horizon de retour aux bénéfices à deux ans, ce qui, dans l’industrie du verre, suppose un équilibre fin entre volumes, prix et efficience des équipements. Le redressement des résultats passera par la combinaison de gains d’OEE, de maîtrise des achats matières et énergie et d’un mix produits plus favorable.
Le signal prix mérite d’être souligné. Dans un segment où le « Made in France » a de la valeur, une hausse plus franche aurait pu sembler possible. En limitant l’augmentation à 2 %, l’équipe a piloté une stratégie de volume calibrée, en renonçant à une partie de la marge court terme pour regagner des parts de marché. Ce choix a alimenté le carnet de commandes et repositionné les références phares en tête de gondole.
Les finances restent néanmoins tendues. L’absence de profit en 2025 signifie un besoin de trésorerie attentif, notamment sur le cycle d’exploitation : achats de matières premières, paiement des factures d’énergie, stocks intermédiaires en fabrication, délais d’encaissement clients. Une discipline ferme sur le besoin en fonds de roulement sera déterminante pour passer le cap avant la remise en route de la ligne 3.
Trésorerie industrielle : trois points d’attention spécifiques au verre
- Stocks techniques : le verre nécessite des approvisionnements réguliers en silice, carbonate de sodium, calcin, avec des stocks de sécurité coûteux.
- Factures d’énergie : la facturation mensuelle ou bimestrielle impose une gestion fine des sorties de cash, surtout en période de volatilité des tarifs.
- Crédit client : la grande distribution et les distributeurs export imposent des délais d’encaissement, ce qui exige une négociation de conditions et une factoring éventuelle.
Le pilotage de ces trois postes conditionne la fluidité du redémarrage.
17 millions d’euros à mobiliser : moderniser l’usine et sécuriser la ligne 3
Le chantier prioritaire est financier et industriel. 17 millions d’euros d’investissements sont estimés nécessaires sur trois ans pour remettre à niveau les installations, améliorer leur efficience énergétique et relancer la troisième ligne. Cette enveloppe cible typiquement le four, la trempe, la manutention, la métrologie et l’automatisation des fins de ligne.
La question centrale est celle du financement. Une SCOP peut lever des fonds propres auprès de ses sociétaires, mais l’essentiel d’un tel plan passe par une combinaison de quasi-fonds propres, de dette bancaire amortissable, et potentiellement de dispositifs publics d’appui à l’industrie et à l’efficacité énergétique. La gouvernance coopérative n’empêche pas d’associer des partenaires financiers, à condition de préserver la majorité de contrôle des salariés.
Dans un environnement où le coût du capital a augmenté, la lisibilité du business plan devient un actif décisif. Calendrier de relance de la ligne 3, gains d’OEE attendus, économie d’énergie projetée, carnet de commandes export : ces jalons structurent la discussion avec les financeurs. L’effet d’échelle attendu en 2026-2027 est de nature à faire baisser le coût unitaire de production, si la montée en cadence est correctement orchestrée.
Outre les apports des salariés, une SCOP peut mobiliser :
- Titres participatifs ou prêts participatifs : instruments de long terme qui renforcent la structure financière sans diluer le contrôle des salariés.
- Dette bancaire adossée aux actifs industriels : amortissable sur 5 à 10 ans selon le profil des machines et du four.
- Dispositifs publics d’appui à la modernisation et à l’efficacité énergétique, mobilisables sur des projets d’optimisation du procédé, de récupération de chaleur ou de digitalisation.
- Partenariats commerciaux structurant des volumes fermes sur plusieurs années, utiles pour sécuriser les cash-flows et rassurer les prêteurs.
Le montage devra concilier indépendance décisionnelle, coût du financement et rapidité d’exécution, éléments clés dans un calendrier de redémarrage d’une ligne de production.
Le risque à éviter : étaler trop les dépenses et rater des cycles de commande, notamment à l’export. A contrario, une accélération maîtrisée pourrait libérer des économies d’échelle et une meilleure absorption des frais fixes. C’est tout l’équilibre d’un plan industriel : dépenser au bon moment pour capter la demande, sans dégrader la trésorerie au point de compromettre l’exploitation courante.
Offensive commerciale : exportations ciblées, retour des icônes et appui des consommateurs
L’un des pivots du redressement tient à la stratégie de marché. La direction a rappelé que le seul marché français ne suffit pas à saturer les lignes.
L’export redevient un axe majeur, en s’appuyant sur les réseaux historiques et sur des lancements qui capitalisent sur l’ADN de la marque : robustesse, simplicité, durabilité. Les gammes emblématiques sont revisitées, avec une tonalité vintage assumée et des opérations en pop-up pour reconquérir l’attention.
Cette stratégie s’adosse à un phénomène rare : un soutien public tangible. Des consommateurs, y compris des retraités interrogés sur le terrain, citent des achats « militants », renouvelant leur vaisselle pour soutenir la relance. Cet élan s’observe aussi sur les réseaux sociaux, où des messages positifs ont circulé en août 2025. L’effet n’est pas une preuve de marché en soi, mais il participe à l’élan commercial de court terme.
Duralex : stratégie et résultats
Les initiatives se lisent en trois temps. D’abord, un repositionnement de prix maîtrisé pour restaurer l’attractivité auprès des enseignes et grossistes.
Ensuite, la mise en avant de références qui parlent immédiatement au consommateur, du gobelet résistant au saladier transparent, afin de générer du volume. Enfin, l’exportation relancée vers des marchés où le « made in France » capte une disposition à payer, contrepartie aux surcoûts industriels nationaux.
Cette articulation a déjà un effet chiffré, avec un chiffre d’affaires 2025 prévu à 31 millions d’euros pour une croissance proche de 20 % sur un an, et une hausse moyenne des prix limitée à 2 % (France Télévisions, 20 août 2025). Le pari est de transformer cet élan en marge d’exploitation, une fois les investissements réalisés et la ligne 3 relancée.
Trois indicateurs commerciaux à suivre d’ici fin 2026
- Part de l’export dans le chiffre d’affaires : plus la proportion progresse, plus la dépendance à un seul marché se réduit.
- Taux de rotation en GMS des références phares : indicateur direct de la traction produit et de l’efficacité merchandising.
- Marge par gamme après investissement : test de la capacité à capturer de la valeur et à compenser les coûts énergétiques.
La soutenabilité du rebond dépendra de ces ratios autant que du volume brut.
Emploi, organisation et cohésion : effets tangibles sur le site
Le passage en coopérative s’est accompagné d’une dynamique RH lisible. 243 salariés sont toujours en poste. Les 17 recrutements opérés en un an ont ciblé des métiers à forte valeur ajoutée pour la continuité opérationnelle. La politique salariale est restée prudente, mais l’accès à l’information économique s’est élargi et l’implication quotidienne s’est intensifiée.
Le partage des données de gestion a des effets d’apprentissage. Les équipes se familiarisent avec la lecture d’indicateurs clés : productivité par équipe, taux de rebut, OEE, TRS, consommation énergétique par lot. Cette montée en compétence financière diffuse peut, à terme, se transformer en avantage opérationnel durable, en améliorant la réactivité face aux aléas ateliers.
Reste un enjeu d’alignement. Le soutien de 60 % des salariés est solide, mais il suppose un travail d’explication continu pour embarquer l’ensemble du collectif.
La coopérative se joue aussi dans la gestion des désaccords. Lorsque la pression de production monte et que les investissements tardent, les arbitrages deviennent plus délicats. Le rôle du management est alors de traiter les tensions sans diluer l’exigence de performance.
L’ambition d’embauche d’ici 2028, près de 60 postes supplémentaires, est conditionnée au succès du plan industriel et commercial. En d’autres termes, l’emploi s’écrira à l’aune de l’export, de la relance de la ligne 3 et d’un gain d’efficience mesuré en euros économisés, pièces conformes produites et délais tenus.
Dans une coopérative, la démocratisation des données de gestion transforme la relation au travail : comprendre une marge, une consommation d’énergie ou un coût de maintenance nourrit un réflexe de « gestionnaire ». Cet alignement des représentations crée un langage commun entre atelier, maintenance, supply et commerce.
À l’échelle d’une usine, ce capital cognitif collectif peut valoir un point de productivité et plusieurs points de qualité. C’est peu visible, mais déterminant.
Dans l’écosystème local, la trajectoire de Duralex irrigue aussi le tissu économique du Loiret. Sous-traitants, transporteurs, partenaires de packaging et de maintenance bénéficient d’un redémarrage ordonné. À l’inverse, un coup d’arrêt aurait un effet multiplicateur négatif. C’est ce réseau d’interdépendances qui explique l’attention portée par les collectivités et les acteurs financiers au plan d’investissement.
Ce que révèle duralex sur la réindustrialisation : un test grandeur nature
La trajectoire de Duralex illustre plusieurs réalités de l’industrie française. D’abord, l’efficacité d’un capitalisme de proximité capable de préserver des savoir-faire dans des filières où la concurrence asiatique met les prix sous pression.
Ensuite, la difficulté permanente de financer des actifs lourds sans visibilité parfaite sur les coûts énergétiques futurs. Enfin, la force d’une marque patrimoniale quand elle est incarnée par celles et ceux qui la produisent.
Le chemin n’est pas linéaire. La réussite du plan repose sur trois conditions : la sécurisation des 17 M€ d’investissements annoncés, la montée en cadence réussie de la ligne 3 et l’ancrage de l’export dans le mix.
Si ces jalons sont franchis, l’entreprise dispose d’une fenêtre pour renouer avec les bénéfices d’ici deux ans, puis envisager des revalorisations salariales et de nouveaux recrutements. À défaut, la trésorerie fera office de juge de paix.
Reste une dimension plus symbolique. Le soutien des consommateurs, perceptible en magasins et sur les réseaux, montre que la commande publique n’est pas l’unique levier pour tenir une filière. La demande privée, quand elle s’appuie sur un signal prix raisonnable, peut relancer une usine. Ce soutien ne dispense pas d’exécution impeccable, mais il lui donne de l’oxygène.
Pour l’heure, les voyants ne sont pas tous au vert, mais ils s’orientent dans la bonne direction. Les indicateurs d’activité progressent, la gouvernance coopérative s’installe, et le débat sur l’investissement gagne en précision, jalon indispensable avant toute signature bancaire. Le cap 2026-2027 sera déterminant pour vérifier la promesse d’un redressement durable, soutenu par une marque forte et une communauté de salariés engagés.
La feuille de route est exigeante, claire et mesurable. Elle sera jugée à l’aune des livrables concrets : commandes export sécurisées, économies d’énergie réalisées, taux de rebut abaissé, et mise en service effective de la ligne 3. Si l’équation s’équilibre, Duralex pourra rouvrir un chapitre compétitif sur le long terme, où la valeur de la marque se traduira en cash-flows récurrents et en emplois industriels non délocalisables.
En un an de gouvernance coopérative, Duralex a regagné du terrain : l’épreuve décisive arrive avec la modernisation et la ligne 3, test ultime de la capacité française à conjuguer marque patrimoniale, exigence capitalistique et performance d’usine.