Dans la nuit du 19 au 20 octobre 2025, Kering a officialisé la cession de sa filiale Kering Beauté à L’Oréal pour un montant de 4 milliards d’euros, payable en numéraire. L’annonce, assortie d’un partenariat industriel structurant, signe le premier grand mouvement de Luca De Meo aux commandes du groupe de luxe français et redessine l’équilibre des forces dans la beauté prestige.

Cession de Kering Beauté à L’Oréal : périmètre, prix et calendrier

Le protocole porte sur la totalité des activités de Kering Beauté, incluant la maison de parfums Creed. La clôture est visée au premier semestre 2026, sous réserve des autorisations réglementaires habituelles. Le paiement est prévu en numéraire à la réalisation.

Le transfert intègre une bascule stratégique majeure autour de Gucci : à l’échéance de la licence actuelle avec Coty, programmée en 2028, L’Oréal prendra en charge la création et la distribution des parfums et cosmétiques de la marque italienne. D’ici là, le contrat Coty suit son cours.

Le communiqué de Kering, relayé via l’AMF, précise la formation d’un comité stratégique commun entre Kering et L’Oréal pour piloter des projets dans la beauté et le bien-être. L’opération comprend également un schéma de redevances versées par L’Oréal au titre des licences de marques.

Calendrier opérationnel et parties prenantes

Points clés communiqués par les groupes:

  1. Signature et annonce publiques dans la nuit du 19 au 20 octobre 2025.
  2. Clôture visée au premier semestre 2026 avec paiement en numéraire à la réalisation.
  3. Transfert des parfums et cosmétiques Gucci chez L’Oréal à l’expiration de la licence Coty en 2028.

Banques conseil: Rothschild & Co et Bank of America pour L’Oréal; Evercore et Centerview Partners pour Kering.

Co-entreprise 50/50 et licences de long terme : l’architecture de l’alliance

Au cœur du montage, un **partenariat exclusif** sous forme de co-entreprise à 50/50 entre Kering et L’Oréal. Ce véhicule commun associera l’innovation produit de L’Oréal à la connaissance client luxe de Kering, avec pour horizon la création d’expériences haut de gamme.

Selon des informations rapportées par Reuters le 20 octobre 2025, l’accord inclut des licences de 50 ans couvrant des maisons clés du portefeuille Kering: Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga, Alexander McQueen et Pomellato. Il s’agit d’un cadre contractuel de très longue durée, rare par son amplitude, conçu pour soutenir des cycles d’innovation et d’investissement étendus.

Une licence simple donne des droits d’exploitation contre redevances et obligations de marque. La co-entreprise 50/50 ajoute une gouvernance partagée, un alignement stratégique et des décisions conjointes sur les investissements clés. Résultat: cadence d’innovation potentiellement plus rapide, meilleure coordination entre développement produit, marketing et retail, et allocation du capital plus lisible entre les partenaires.

Recentrage sur la mode et la maroquinerie : le pari Luca De Meo

Aux manettes de Kering depuis septembre 2025, Luca De Meo imprime une trajectoire claire: désengager la beauté en propre pour renforcer les métiers historiques du groupe, en priorité la mode, la maroquinerie et les accessoires. L’orientation est assumée comme un véritable tournant après l’ambition, portée par François-Henri Pinault, de constituer une division beauté autonome.

Le groupe fait face à une dette nette estimée à 9,5 milliards d’euros à l’été 2025. La cession apportera des liquidités pour alléger le levier financier et soutenir la stabilité du bilan dans un environnement moins porteur, marqué par les aléas en Chine et les effets de change. De Meo résume l’intention stratégique: « Cette alliance stratégique marque une étape décisive pour Kering et nous permet de nous concentrer sur ce qui nous définit le mieux: notre puissance créative et l’attractivité de nos Maisons ».

Kering : dépendance à Gucci et redressement attendu

Avec un chiffre d’affaires de 19,6 milliards d’euros en 2024, Kering demeure un poids lourd du luxe mais reste très exposé à Gucci, qui pèse environ 50 % des revenus. La marque a traversé un passage à vide, avec des ventes en repli de 18 % au premier semestre 2025. La décision de céder Kering Beauté s’analyse comme une volonté de canaliser les ressources vers le cœur de portefeuille, où le rendement du capital est historiquement élevé.

L’Oréal : consolidation de la division Luxe et extension des marques

L’Oréal, leader mondial des cosmétiques avec un chiffre d’affaires d’environ 41 milliards d’euros en 2024, renforce son pôle Luxe. L’intégration de Creed et la perspective de la licence Gucci en 2028 doivent densifier le mix parfum et soins premium, un segment dynamique. Nicolas Hieronimus salue « l’ajout de ces marques extraordinaires » et souligne le potentiel de croissance de Gucci, Bottega Veneta et Balenciaga.

Marques et périmètre de licences visées

Le partenariat couvre des marques emblématiques du portefeuille Kering:

  • Gucci : bascule de la gestion beauté à L’Oréal à partir de 2028, après l’échéance de la licence Coty.
  • Bottega Veneta et Balenciaga : développement sous L’Oréal Luxe dans le cadre de licences de long terme.
  • Alexander McQueen et Pomellato : intégration dans l’architecture contractuelle annoncée.
  • Creed : cédé avec Kering Beauté, renforce le segment parfums ultra-premium.

Mécanismes financiers et cap industriel : ce que l’on sait

L’accord est valorisé à 4 milliards d’euros et prévoit des redevances pour Kering au titre des licences. Le prix d’acquisition de Creed par Kering en 2023 n’avait pas été rendu public.

Des estimations de marché évoquaient un niveau autour de 3,5 milliards d’euros, sans confirmation officielle au moment de la cession. L’adossement à L’Oréal permet à Creed d’intégrer une plateforme globale éprouvée sur les parfums sélectifs.

La dynamique attendue pour L’Oréal repose sur l’amplification de son portefeuille Luxe, qui inclut déjà Yves Saint Laurent et Lancôme. L’ajout des marques Kering doit accélérer la croissance sur le parfum, catégorie en hausse annuelle d’environ 8 % selon Euromonitor.

Gucci et la transition post-Coty 2028

La période 2025-2028 structurera la transition de la marque Gucci en beauté. Tant que la licence avec Coty court, la gestion reste inchangée.

À compter de 2028, L’Oréal pilotera la création et la distribution. Cette bascule implique la préparation des gammes, des chaînes d’approvisionnement, et du marketing global, afin d’éviter les ruptures commerciales. L’objectif affiché est de créer une continuité pour le consommateur tout en renouvelant l’offre.

Creed et la valorisation estimative

Acquise par Kering en 2023, Creed est une marque de parfumerie d’exception. Si le montant déboursé à l’époque n’a pas été rendu public, des analyses extérieures avaient évoqué une valorisation proche de 3,5 milliards d’euros. La revente de Kering Beauté à L’Oréal, qui inclut Creed, conforte la logique d’intégration d’un acteur spécialisé dans les catégories prestige à fort pricing power.

Dans un modèle de licences longues, la société concédante perçoit des redevances basées sur le chiffre d’affaires ou la performance commerciale. Pour Kering, cela permet de maintenir un flux de revenus récurrents tout en réduisant l’exposition capitalistique. Pour L’Oréal, l’accès à des marques à haute désirabilité justifie l’investissement marketing et l’industrialisation sur le long terme.

Lecture marché : dette, valorisation et réaction boursière

Kering affiche une dette nette estimée à 9,5 milliards d’euros à l’été 2025. Le produit de cession soutiendra la réduction du levier financier. Des analyses évoquent des usages possibles du cash, tels que rachat d’actions ou investissements en R&D ciblés, en fonction de la trajectoire commerciale de Gucci et des autres Maisons.

Du côté des marchés, la réaction initiale a été favorable: le 20 octobre 2025 au matin, l’action Kering gagnait environ +5 % à Paris, quand L’Oréal progressait d’environ +2 %, signe d’une lecture positive du potentiel industriel et financier.

Baromètre express CAC 40

  • Kering : +5 % au matin du 20 octobre 2025, réaction à l’annonce de la cession.
  • L’Oréal : +2 % sur la même séance, perception favorable des synergies beauté.
  • Lecture investisseurs: réduction de l’endettement pour Kering; amélioration du mix luxe pour L’Oréal.

Ces variations reflètent un premier arbitrage; elles ne préjugent pas de la trajectoire à moyen terme.

Qui est Kering : ADN, chiffres clés et inflexions récentes

Kering, fondé en 1963 sous l’appellation Pinault-Printemps-Redoute, est contrôlé majoritairement par la famille Pinault. Son modèle repose sur la gestion de Maisons de luxe à rayonnement mondial. En 2024, le groupe affiche un chiffre d’affaires de 19,6 milliards d’euros; Gucci représente environ la moitié de ses revenus.

L’intention d’ériger une division beauté propriétaire a conduit, en 2023, à l’acquisition de Creed et à la structuration de Kering Beauté. Mais les résultats n’ont pas atteint les attentes: la division a généré 1,2 milliard d’euros de revenus en 2024, loin de l’échelle des leaders mondiaux. La reconfiguration annoncée en 2025 marque une inflection stratégique, avec un recentrage sur les métiers à forte marge historique.

Le marché beauté prestige à l’échelle mondiale

Le marché mondial de la beauté est évalué à environ 580 milliards d’euros en 2024, tous segments confondus. La beauté de luxe y prend une part croissante avec un rythme de développement soutenu, notamment sur le parfum. Cette dynamique attire les groupes de mode et accessoires qui y voient un relais de croissance et un puissant vecteur d’extension de marque.

Un parfum emblématique ou une gamme maquillage contribue à la désirabilité et à la diffusion mondiale d’une Maison. La beauté agit comme porte d’entrée accessible vers l’univers d’une marque, stimulant la notoriété tout en générant des marges attractives lorsque l’échelle est atteinte. C’est aussi un terrain propice à l’innovation, du format produit aux services personnalisés.

Gouvernance et accompagnement : comités, conseillers et pilotage commun

L’architecture retenue prévoit un comité stratégique commun Kering-L’Oréal. Cette instance doit sécuriser l’alignement sur le pipeline d’innovation, l’investissement marketing et le calibrage industriel. La perspective avancée par les deux groupes est celle d’une priorité donnée à l’innovation et à l’expérience client dans un secteur en croissance.

Les conseils financiers mobilisés témoignent du caractère structurant de l’opération: Rothschild & Co et Bank of America pour L’Oréal; Evercore et Centerview Partners pour Kering. La supervision réglementaire suit le circuit européen usuel, avec un examen antitrust attendu dans les prochains mois.

Forces en présence : atouts et complémentarités

  • Kering apporte des Maisons à forte valeur culturelle et un récit de marque singulier. La connaissance du client luxe et le réseau retail constituent des actifs différenciants.
  • L’Oréal met sur la table son écosystème R&D, son outil industriel et sa distribution mondiale sélective. Sa capacité à scaler rapidement des franchises beauté est reconnue.

La combinaison vise une trajectoire où l’extension de marque se fait sans dilution, au service d’une rentabilité durable.

Risques, autorisations et points de vigilance 2025-2026

Le bouclage est soumis aux autorisations de concurrence, dont l’examen par la Commission européenne. Sur le plan opérationnel, la réussite dépendra de la capacité à préserver l’image premium des Maisons tout en atteignant l’effet d’échelle indispensable à la beauté sélective.

En addition, les vents contraires sur le luxe demeurent: ralentissement relatif du panier en Chine, volatilité des devises, arbitrages des consommateurs sur les segments d’entrée de gamme des maisons luxe. La gouvernance conjointe et l’horizon contractuel long doivent offrir une stabilité face à ces variables.

Trois questions clés pour 2026

  1. Antitrust : quel périmètre de remèdes, le cas échéant, exigera l’UE pour valider l’opération
  2. Marque Gucci : quelle trame créative en parfum et maquillage à la bascule 2028 pour relancer la dynamique
  3. Allocation du cash : quelle part dédiée à la réduction de dette, aux M&A ciblées ou aux retours aux actionnaires

Ce que signifie ce deal pour l’écosystème français

Cette cession s’inscrit dans un mouvement de réallocation du capital au sein des groupes français du luxe. Elle illustre la pertinence des partenariats industriels pour capter la croissance beauté tout en maîtrisant l’empreinte bilancielle. L’opération devrait également servir de référence pour les prochains accords croisant mode et beauté.

Au plan macro, le luxe contribue significativement à l’économie française. La consolidation des positions de L’Oréal sur le segment Luxe et le recentrage de Kering sont de nature à conforter l’attractivité d’une filière clé, soutenue par l’export et la montée en gamme.

Paroles de dirigeants et tonalité stratégique

La communication des deux groupes met en avant l’innovation et la création de valeur sur le long terme. Luca De Meo insiste sur la concentration des moyens sur les métiers où Kering excelle. Nicolas Hieronimus souligne la complémentarité des portefeuilles et le potentiel de croissance de Gucci, Bottega Veneta et Balenciaga.

Pour les investisseurs, le message est double: désendettement et recentrage du côté Kering; accélération du mix Luxe et montée en puissance de la catégorie parfum chez L’Oréal. Nombre d’analystes présentent ce mouvement comme le premier grand pari de la nouvelle direction de Kering, à même d’influencer les arbitrages d’autres acteurs européens du secteur.

Repères chiffrés et mise en perspective

Kering place une étape de transformation au service de la performance à moyen terme. La taille de l’opération, 4 milliards d’euros, en fait une transaction majeure de l’année sur le segment beauté luxe. Le marché mondial de la beauté, évalué à 580 milliards d’euros en 2024, offre une profondeur suffisante pour justifier des engagements sur 50 ans quand les marques disposent d’une aura mondiale.

L’orchestration d’une co-entreprise 50/50 apporte une gouvernance équilibrée. Ce choix de structure pourrait inspirer des montages analogues dans d’autres verticales du luxe, lorsque l’accès à une plateforme industrielle mondiale s’avère plus pertinent qu’un développement autonome.

Cap stratégique confirmé, signaux à surveiller d’ici 2026

La cession de Kering Beauté à L’Oréal entérine un nouveau partage des rôles dans l’écosystème français: Kering resserre son empreinte sur la mode et la maroquinerie, L’Oréal densifie son portefeuille Luxe. Les prochaines étapes seront déterminées par les autorisations, le closing financier et la préparation de la transition Gucci à l’horizon 2028.

Si l’équation s’exécute comme prévu, le marché pourrait valider un schéma gagnant-gagnant: désendettement et concentration des efforts créatifs pour Kering; extraction de synergies et amplification des relances produits pour L’Oréal. Les 18 prochains mois feront office de révélateur.