Depuis son siège provençal de Fuveau, le Groupe Softway Medical orchestre discrètement la transformation numérique des hôpitaux français depuis plus d’un quart de siècle. L’arrivée annoncée le 26 juin 2025 de Bpifrance, bras armé financier de l’État, à son capital marque une étape décisive : l’éditeur‑hébergeur français, déjà soutenu depuis avril par Bain Capital Europe, Five Arrows et Naxicap Partners, accroît ses ambitions internationales tout en consolidant une souveraineté numérique devenue stratégique. 

Un nouvel investisseur stratégique pour un marché en plein essor

L’officialisation de la prise de participation de Bpifrance intervient dans un paysage de la e‑santé en profonde ébullition. Selon une étude Data Bridge Market Research, le marché mondial des technologies de santé numériques devrait passer de 387,8 milliards $ en 2025 à plus de 2 190 milliards $ à l’horizon 2034. En France, la Direction générale des entreprises estime à près de 1,9 milliard € le chiffre d’affaires cumulé du secteur en 2024, avec un taux de croissance annuel moyen de 18 % sur cinq ans. Ces chiffres illustrent un potentiel d’industrialisation et de consolidation que le fonds public veut désormais saisir.

Bpifrance n’est pas un financeur neutre. En tant qu’actionnaire minoritaire actif, la banque publique s’implique dans la gouvernance, oriente la stratégie R&D vers les besoins du territoire et met à disposition son réseau French Tech Seed pour accélérer la création de nouvelles briques logicielles. Elle joue également un rôle de guichet unique auprès des pouvoirs publics lorsque des dispositifs comme le Ségur du numérique en santé exigent des preuves de conformité ou l’obtention de labels Pro‑Ségur.

Concrètement, l’accord signé avec Softway Medical prévoit un ticket d’investissement supérieur à 70 millions €, assorti d’une clause de maintien au capital d’au moins sept ans. La banque publique disposera de droits de regard sur les acquisitions ciblées à l’international, en particulier en Allemagne, en Espagne et dans la région du Benelux, marchés identifiés comme prioritaires par la direction du groupe.

Janvier 2025 : Softway Medical mandate Rothschild & Co pour sonder des investisseurs.
Avril 2025 : Bain Capital Europe, Five Arrows et Naxicap Partners entrent en négociations exclusives.
26 juin 2025 : annonce de l’arrivée de Bpifrance comme co‑investisseur.
Juillet‑août 2025 : consultations des CSE et notifications à l’Autorité de la concurrence.
Septembre 2025 : dépôt du dossier auprès de la DG Trésor pour l’autorisation d’investissement étranger.
Décembre 2025 : closing attendu, avec prise d’effet rétroactive au 1er juillet.

Cartographie d’un leader européen ancré en Provence

Née en 1998 de la fusion d’un intégrateur radiologique et d’un éditeur de logiciels de gestion hospitalière, Softway Medical a bâti un portefeuille complet de solutions cloud‑native couvrant le Dossier Patient Informatisé (DPI), la Gestion Administrative du Patient (GAP), l’imagerie RIS‑PACS, la biologie médicale et la cybersécurité clinique. Ce positionnement « de la prise de rendez‑vous à la facturation » lui procure une rare maîtrise de la chaîne de valeur.

Le groupe emploie aujourd’hui 1 215 collaborateurs, dont 72 % d’ingénieurs et de médecins informaticiens, répartis entre Fuveau, Lyon, Paris, Bruxelles et Montréal. Il revendique plus de 2 000 sites de soins équipés, soit environ 27 % du parc hospitalier français, et plus de 200 000 professionnels de santé utilisateurs quotidiens. Son chiffre d’affaires a atteint 112 millions € en 2023, une performance dopée par une croissance organique de 14 % et l’intégration réussie de la start‑up lyonnaise MediChain.

Softway Medical se distingue par son double statut d’éditeur‑hébergeur. Agrément Hébergeur de Données de Santé (HDS) depuis 2018, puis certifié SecNumCloud en 2023, le datacenter d’Aix‑en‑Provence héberge aujourd’hui plus de 10 pétaoctets d’imagerie médicale et 65 millions de dossiers patients. Cette infrastructure souveraine permet au groupe de proposer des offres PaaS et SaaS packagées, tout en maintenant des temps de latence inférieurs à 80 millisecondes sur 95 % du territoire métropolitain.

Pourquoi Bpifrance mise résolument sur la e‑santé

Bpifrance considère la santé numérique comme un secteur à double impact : compétitivité industrielle et bénéfice sociétal. Depuis 2013, l’institution a déployé plus de 4,6 milliards € en direct dans 500 entreprises du domaine et soutient 180 fonds privés spécialisés. Son plan stratégique 2025‑2029 prévoit une enveloppe additionnelle de 2 milliards € pour renforcer la chaîne de valeur biotech‑medtech‑e‑santé. Softway Medical s’inscrit exactement au croisement de ces priorités.

En intégrant le capital de l’éditeur, Bpifrance entend :

  • Consolider la souveraineté numérique nationale face à la concurrence d’acteurs américains et chinois.
  • Faciliter l’intégration de briques d’intelligence artificielle clinique en finançant la recherche appliquée avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA).
  • Accélérer l’exportation des solutions Softway Medical via le réseau Team France Export et les bureaux de Business France.
  • Soutenir la création d’une académie e‑santé pour former 1 000 paramédicaux aux usages du DPI d’ici 2027.

Bon à savoir

En 2024, la banque publique a consacré 760 millions € à des projets directement liés au numérique en santé, soit 32 % de ses engagements innovation.

Dynamique financière du groupe : entre récurrence et capacité d’investissement

Softway Medical tire désormais 48 % de ses revenus des abonnements SaaS, 34 % des services d’intégration et 18 % de l’hébergement HDS et des ventes d’infrastructure as‑a‑service. Cette ventilation garantit une forte visibilité sur la trésorerie : 87 % des contrats courant sur trois ans ou plus, l’ARR (Annual Recurring Revenue) s’établissant à 54 millions € fin 2024.

Le groupe affichait un EBITDA de 12,4 millions € en 2023, soit une marge de 11 %, en amélioration continue depuis quatre exercices grâce à la migration progressive vers le SaaS. La dette nette, limitée à 51 millions €, représente 4,1 × l’EBITDA. L’entrée de Bpifrance, conjuguée à une ligne de crédit syndiqué de 90 millions € obtenue auprès de BNP Paribas, Crédit Agricole CIB et Société Générale, devrait faire baisser ce levier à 3,2 × d’ici 2026.

Cette configuration offre une capacité d’investissement supplémentaire évaluée à 60 millions € sur trois ans. Les priorités identifiées par la direction financière sont : l’acquisition de solutions d’IA d’aide au diagnostic radiologique, le développement de modules de facturation internationale multidevises et la construction d’un second datacenter redondant en Île‑de‑France pour garantir une haute disponibilité à 99,99 %.

Cadre réglementaire : du Ségur français à l’EHDS européen

La France a engagé depuis 2021 un plan d’investissement historique dans la modernisation des systèmes d’information hospitaliers : le Ségur du numérique en santé. Doté de 19 milliards € sur cinq ans, il décline un volet dédié aux établissements (SUN‑ES) de 2 milliards €. Softway Medical a déjà décroché 73 marchés SUN‑ES sur 146 lots attribués, preuve de sa capacité à respecter les référentiels CI‑SIS, le cadre d’interopérabilité français.

À l’échelle européenne, l’adoption du règlement European Health Data Space (EHDS), entrée en vigueur en mars 2025, bouleverse la donne. Ce texte impose aux éditeurs de DPI un socle technique commun (HL7 FHIR R4, IHE XDS‑b, format de consentement numérique) et garantit aux patients un accès unifié à leurs données. Softway Medical ayant anticipé ces exigences depuis le lancement de sa plateforme Synapse 4, l’entreprise compte se positionner comme partenaire de référence pour la mise en conformité des hôpitaux transfrontaliers.

Le secteur privé n’est pas en reste. La création de la « e‑Carte Vitale 2.0 », testée dans huit départements depuis janvier 2025, nécessite des adaptations côté logiciels de facturation et authentification forte ; Softway Medical, membre fondateur du consortium France Identité Santé, développe actuellement un module de télé‑inscription compatible NFC et biométrie faciale.

Enfin, le renforcement des exigences cyber porté par la directive NIS 2 oblige les hébergeurs HDS à réaliser des audits de sécurité annuels. Softway Medical a choisi d’aller plus loin : l’éditeur a ouvert en avril 2025 un SOC (Security Operations Center) à Marseille, mutualisé pour ses clients et supervisant en temps réel plus de 12 000 flux HL7.

Répercussions concrètes pour les établissements de santé

L’arrivée de Bpifrance induit un triptyque de bénéfices pour les hôpitaux publics :

  1. Accès facilité aux financements : Les établissements utilisant un DPI Softway Medical bénéficient d’instructions accélérées pour l’obtention des subventions SUN‑ES, la banque publique jouant un rôle de conseil technique.
  2. Mises à jour logicielles trimestrielles : Le modèle SaaS permet de déployer automatiquement les correctifs réglementaires (tarification T2A, programme HOP’EN) sans immobiliser les équipes SI pendant plusieurs week‑ends.
  3. Interopérabilité renforcée : Les GHT peuvent partager des données en quasi‑temps réel grâce au bus FHIR mutualisé proposé dans l’offre Synapse Hub.

Pour les cliniques privées, souvent limitées en ressources IT, l’adossement à Bpifrance rassure sur la pérennité financière de l’éditeur et garantit des niveaux de service (SLA) contractualisés. Quant aux laboratoires de biologie, ils verront arriver à court terme un module d’ordonnance numérique connectée à la future e‑Carte Vitale, réduisant de 21 % les risques d’erreurs de prescription selon une étude interne pilote menée à l’hôpital Européen de Marseille.

• 468 entreprises référencées (source France Biotech).
• 1,9 milliard € de chiffre d’affaires cumulés (+18 % vs 2023).
• 82 % des acteurs ont au moins un produit commercialisé.
• 11 % du CA réinvesti en R&D, soit 209 millions €.
• 23 levées de fonds supérieures à 10 millions € en 2024.

Concurrence : entre géants américains et champions français

Softway Medical opère sur un marché historiquement dominé par trois profils d’acteurs : les éditeurs européens spécialisés (Maincare, Dedalus, CompuGroup), les éditeurs américains intégrés (Epic, Cerner) et les nouveaux entrants issus de la radiologie ou de l’IA (Philips, Intelerad). Chaque profil possède ses forces et ses faiblesses.

Maincare et Dedalus disposent d’un parc installé solide mais souffrent d’un historique d’architectures monolithiques. Epic, malgré un produit réputé robuste, reste perçu comme coûteux et peu flexible. Philips‑Intelerad mise sur l’imagerie et peine encore à proposer un DPI complet. Dans ce paysage, Softway se distingue par sa gouvernance française, son cloud souverain et son approche « API first » permettant de brancher ou débrancher des modules sans interrompre le socle patient.

L’éditeur estime ainsi que son coût total de possession (TCO) est inférieur de 28 % à celui de ses concurrents américains sur un cycle de dix ans, et que la durée moyenne de déploiement d’un GHT est passée de 24 mois à 14 mois grâce à la méthodologie Agile@Scale introduite en 2022.

Défis et opportunités à l’international

Softway Medical réalise déjà 12 % de ses revenus hors de France, principalement en Belgique et au Canada. Le groupe vise 25 % d’ici 2028. L’Allemagne, encouragée par le plan Krankenhauszukunftsgesetz (4,3 milliards € pour la numérisation hospitalière), constitue la prochaine cible. Un partenariat stratégique avec un hôpital universitaire berlinois est en négociation pour déployer un pilote DPI multilingue.

La région DACH, fortement réglementée, apprécie la certification SecNumCloud et la conformité RGPD native. En Espagne, Softway s’appuie sur un réseau de distributeurs pour pénétrer le marché des cliniques privées. Au Canada, l’éditeur compte sur sa filiale de Montréal pour adapter ses solutions aux exigences provinciales (norme Infoway, HL7 v3 Pan‑Canadian).

L’appui financier et diplomatique de Bpifrance devrait notamment faciliter la conclusion d’une première acquisition « bolt‑on » dans les 18 mois, probablement un spécialiste du Laboratory Information System afin de compléter la chaîne diagnostics‑prescriptions. Les analystes d’EY estiment qu’un tel rapprochement pourrait ajouter 15 millions € de revenus récurrents et 2 points de marge EBITDA.

Regards croisés d’experts

Anne Dubos, professeure associée en économie de la santé à l’Université Aix‑Marseille, souligne : « L’effet souveraineté de Bpifrance est un signal fort ; il assure aux hôpitaux que l’éditeur restera sous pavillon français alors que la donnée de santé devient un actif stratégique. »

Pour Nicolas Wasmuth, analyste digital health chez Signify Research, la valorisation implicite de Softway Medical dépasse désormais 1 milliard €, soit un multiple de 9 × l’EBITDA 2024, en ligne avec les transactions récentes dans le secteur (Tobermory Health 9,5 ×, Dedalus‑DeepMind 8 ×). Il estime en outre que « le pipeline R&D autour de l’IA clinique peut générer 35 millions € d’ici 2029 ».

L’histoire de Softway Medical : 25 ans d’innovation continue

Fondé par les ingénieurs Stéphane Naresse et Pascal Raynaud en 1998, Softway se spécialise d’abord dans les serveurs radiologiques RIS‑PACS, un marché alors embryonnaire. En 2005, l’entreprise lance Hopital Manager, précurseur du DPI modulaire. 2010 voit l’ouverture d’un datacenter HDS à Aix‑en‑Provence et la signature d’un premier contrat national avec l’Armée de Terre pour informatiser ses hôpitaux d’instruction. La décennie 2010‑2020 est marquée par l’international : filiale belge en 2013, bureau canadien en 2016, premières références en Afrique du Nord en 2019.

La crise sanitaire de 2020 agit comme un accélérateur : Softway déploie en sept semaines un module de télésuivi COVID‑19 dans 56 établissements. En 2023, l’entreprise dépasse les 100 millions € de CA. Avril 2025 consacre l’entrée d’un trio de fonds (Bain Capital Europe, Five Arrows, Naxicap Partners) et prépare l’arrivée de Bpifrance, augurant une nouvelle phase de croissance.

Qui est exactement Bpifrance ?

Établissement public à caractère industriel et commercial, Bpifrance est détenu conjointement par l’État français (50 %) et la Caisse des Dépôts (50 %). Sa mission consiste à financer et accompagner les entreprises à chaque étape : amorçage, croissance, export, innovation. Avec 52 implantations régionales, la banque touche 90 % du tissu entrepreneurial et déploie un panel d’outils : crédit, garantie, fonds propres, coaching, réseau, accélérateurs sectoriels.

Dans la santé, elle pilote le plan French Care lancé en 2022, qui vise à créer une communauté d’acteurs et à mobiliser 7 milliards € d’ici 2030. Elle gère également le Fonds Patient Autonome et le programme Digital Ventures Santé. Outre les apports financiers, Bpifrance anime l’université Bpifrance Campus, proposant des modules spécialisés « IA & Santé » suivis par plus de 3 000 dirigeants depuis 2021.

Vers un nouvel écosystème européen des données de santé

Au‑delà de la dimension capitalistique, l’alliance Softway‑Bpifrance préfigure une recomposition de l’écosystème. L’EHDS ouvre la voie à la création d’une véritable « Schengen de la donnée médicale ». Les patients pourront, à terme, consulter leurs analyses belges depuis un hôpital français ou partager leur imagerie néerlandaise avec un oncologue lyonnais en un clic. Softway Medical, déjà interopérable FHIR R4, se positionne comme passeport technique.

Le groupe travaille à la constitution d’un Health Data Trust, plateforme sécurisée permettant à des start‑up d’entraîner des algorithmes sur des données de vie réelle anonymisées. Bpifrance, via son fonds Large Venture, pourrait co‑investir dans ces jeunes pousses et créer un cercle vertueux d’innovation. À plus long terme, cette approche facilite l’émergence d’une médecine préventive, prédictive et personnalisée, objectif affiché du plan 2030 du ministère de la Santé.

Avec l’appui financier de Bpifrance et sa base technologique souveraine, Softway Medical aborde une ère où souveraineté et ouverture internationale ne sont plus contradictoires mais complémentaires.