Air France-KLM a franchi une nouvelle étape dans l’aviation européenne en enregistrant en 2024 une performance financière qui suscite autant l’intérêt des observateurs que des investisseurs. Les résultats font état d’une solide dynamique sur la période, illustrée par un chiffre d’affaires global de 31,5 milliards d’euros et une marge d’exploitation de 5,1 %. Cependant, certains signaux incitent à la vigilance quant aux défis de l’année 2025.

Un coup d’œil sur l’exercice 2024

L’année 2024 a marqué un retour à la stabilité pour la plupart des activités du Groupe Air France-KLM. Malgré le contexte concurrentiel et les contraintes liées aux évolutions géopolitiques, la société a su dégager un résultat d’exploitation de 1,6 milliard d’euros sur l’ensemble de l’année, reflétant une gestion attentive de ses principaux leviers : occupation des vols, mix de destinations et réduction de certains coûts non essentiels.

En fin d’exercice, le quatrième trimestre (T4) a généré un chiffre d’affaires de 7,9 milliards d’euros, soit +6,4 % par rapport à 2023. L’augmentation de la capacité (SKO) de +2,2 % a été conjuguée à une amélioration des recettes unitaires de +4,4 % (à taux de change constant). Cette progression s’explique en partie par la bonne tenue de la demande, la stratégie de « premiumisation » (développement d’offres haut de gamme) et l’ajustement dynamique de la tarification.

En parallèle, le coût unitaire a connu une hausse de +3,2 % sur l’ensemble de l’exercice par rapport à l’année précédente, largement due à plusieurs facteurs : hausses salariales, charges aéroportuaires et redevances de contrôle du trafic aérien, ainsi que la montée en gamme des services passagers. Au final, cette maîtrise relativement soutenue des dépenses a permis au Groupe de préserver une marge d’exploitation supérieure à 5 %. Le résultat net atteint 489 millions d’euros, un indicateur positif qui témoigne de la solidité retrouvée de l’activité malgré divers vents contraires.

Focus sur les principaux indicateurs financiers

Dans le but de rendre compte de la performance réelle, plusieurs métriques clés du compte de résultat retiennent l’attention :

  • Chiffre d’affaires (CA) : 31,5 milliards d’euros en 2024 contre 30 milliards d’euros en 2023, soit une croissance de 4,8 %. Cette hausse provient en partie de l’accélération des recettes unitaires au cours du T4 et de la robustesse de l’activité Maintenance, dont le CA externe s’établit à 2,1 milliards d’euros (+21,9 %).
  • Résultat d’exploitation (REX) : 1,6 milliard d’euros, établissant la marge d’exploitation à 5,1 %. Au quatrième trimestre, le REX atteint 396 millions d’euros, reflétant la hausse du coefficient de remplissage.
  • Coût unitaire : en hausse de 3,2 % à carburant et change constants (hors ETS) sur l’année, principalement en raison de la structure de trafic et de la croissance des coûts de personnel.
  • Résultat net : 489 millions d’euros sur l’année, en retrait par rapport à 2023 (990 millions d’euros), mais constituant un signal de résilience dans une conjoncture complexe.
  • Cash flow d’exploitation libre ajusté récurrent : 271 millions d’euros, signe positif du maintien d’une génération de trésorerie autonome, en dépit du remboursement de charges sociales et retraites reportées pendant la période Covid (environ 1,1 milliard d’euros).
  • Dette nette : 7,3 milliards d’euros, soit 2,3 milliards de plus que l’an dernier, en lien notamment avec le renouvellement et l’extension de la flotte (contrats de location supplémentaires). Le ratio d’endettement (dette nette/EBITDA) atteint 1,7x, dans la fourchette visée (1,5x à 2,0x) pour le moyen terme.

L'EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization) est un indicateur de performance qui mesure la rentabilité opérationnelle avant la prise en compte des amortissements, des charges d'intérêts et des impôts. Il reflète la capacité de l’entreprise à générer des bénéfices avant les impacts de la politique d’investissement et de financement.

Sur le plan de la stabilité financière, Air France-KLM a intégralement remboursé une obligation à échéance janvier 2025 pour un montant de 515,2 millions d’euros, confortant la position de liquidité globale (9,4 milliards d’euros à fin décembre 2024) supérieure à la cible fixée de 6 à 8 milliards d’euros.

Grandes tendances de 2024 : un dynamisme contrasté selon les segments

Le Groupe opère sur plusieurs segments d’activité, dont les réseaux passagers, la filiale low-cost Transavia et le fret (Cargo). Chacune de ces branches a joué un rôle dans la remontée progressive de la rentabilité :

  • Activité Réseaux : Chiffre d’affaires en hausse de 2,5 % sur l’ensemble de l’année, avec une bonne performance du long-courrier, notamment sur l’Atlantique Nord. Le coefficient de remplissage passagers a progressé pour atteindre 87,6 % en 2024 (vs 87 % en 2023).
  • Transavia : Résultat d’exploitation presque à l’équilibre (3 millions d’euros). L’année a été marquée par un redressement du chiffre d’affaires grâce à une hausse de la politique tarifaire et l’introduction de nouveaux frais de bagages cabines. Le coefficient de remplissage de 88,7 % sur l’ensemble de l’année témoigne d’un attrait fort des voyageurs pour la marque.
  • Fret (Cargo) : Après une conjoncture plus difficile en début d’année, le segment Cargo a rebondi au T4 grâce à une meilleure saisonnalité. Les retards de livraison de certains avions ont toutefois limité la capacité offerte, entraînant mécaniquement une hausse de la recette unitaire par Tonne-Kilomètre Offerte (+20,9 % au T4).
  • Maintenance : Le chiffre d’affaires total a progressé de 19,9 %, tiré par les contrats moteurs. La marge demeure toutefois sous pression en raison des tensions sur la chaîne d’approvisionnement et du coût de la main-d’œuvre.

Bon à savoir

La recette unitaire est un indicateur qui rapporte le chiffre d’affaires au volume de capacité offert. Dans le transport aérien, on la calcule fréquemment par passager-kilomètre ou tonne-kilomètre. Elle renseigne sur la capacité d’une compagnie à générer un revenu pour chaque unité de capacité mise à disposition.

Analyse des ratios financiers : décryptage pas à pas

Pour évaluer plus finement la santé financière du Groupe, divers ratios méritent d’être calculés et interprétés. Nous les commentons en nous appuyant sur les chiffres communiqués :

Les ratios financiers sont des indicateurs cruciaux pour les analystes, les banques et les investisseurs. Ils facilitent les comparaisons entre entreprises du même secteur et permettent d’identifier les forces et les faiblesses dans la gestion d’une société.

  1. Marge brute = (Chiffre d’affaires – Coûts directs d’exploitation) / Chiffre d’affaires

    Dans l’aviation, il est parfois difficile de séparer la marge brute stricte en raison de la multiplicité des postes de coûts (carburant, redevances, maintenance). Néanmoins, si l’on exclut les coûts directs principaux (carburant, redevances aéroportuaires, contrôle aérien, etc.), la marge brute s’avère nettement positive. Le coût carburant à lui seul a baissé de 5 % sur l’année, ce qui a contribué à soutenir la marge brute.

  2. Marge d’exploitation = Résultat d’exploitation / Chiffre d’affaires

    Nous constatons 1,6 milliard d’euros de résultat d’exploitation sur un chiffre d’affaires de 31,5 milliards. Cela positionne la marge d’exploitation à environ 5,1 %. C’est un niveau correct dans l’aviation, un secteur caractérisé par des marges souvent faibles, concurrencé par les low-costs et les incertitudes liées aux prix du carburant.

  3. Rentabilité nette (ou marge nette) = Résultat net / Chiffre d’affaires

    Avec 489 millions d’euros de bénéfice net et 31,5 milliards d’euros de revenus, on obtient env. 1,6 % de marge nette. Ce ratio demeure modeste, reflétant la sensibilité de la compagnie à la volatilité des coûts et à l’évolution du prix du carburant.

  4. Ratio d’endettement = Dette nette / Capitaux propres (ou Dette nette / EBITDA)

    Dans les documents fournis, Air France-KLM met en avant un Levier d’endettement exprimé en dette nette/EBITDA = 1,7x. Cet indicateur se situe dans la zone de confort que le Groupe s’est fixée (1,5x – 2,0x). Cela sous-entend qu’Air France-KLM peut rembourser ses dettes nettes en moins de deux ans en utilisant son EBITDA, ce qui est assez favorable pour le secteur.

  5. Solvabilité & Liquidité

    La trésorerie (et équivalents de trésorerie) atteint 4,8 milliards d’euros fin 2024, soit un recul de 1,4 milliard d’euros par rapport à 2023. Le besoin en fonds de roulement a été fortement grevé par le remboursement des charges sociales et retraites reportées. Malgré cette diminution, le niveau de liquidité reste au-dessus des objectifs. Le ratio de liquidité immédiate demeure ainsi confortable au regard des engagements à court terme.

Points forts et éléments à surveiller

Points forts

  • Hausse notable du chiffre d’affaires sur 2024 et maintien d’un bon coefficient de remplissage sur l’ensemble des lignes long-courriers et moyen-courriers.
  • Maîtrise relative du coût du carburant : baisse de 5 % en un an, permettant d’absorber d’autres hausses de dépenses.
  • Perspectives solides pour 2025, avec une nouvelle progression attendue de la capacité (+4 % à +5 %) et un coût unitaire maîtrisé.
  • Diversification des revenus : montée en puissance de la filiale low-cost Transavia et contribution renforcée de l’activité Maintenance.

Éléments à surveiller

  • Augmentation des coûts salariaux couplée aux charges aéroportuaires et de contrôle, pouvant limiter la progression de la marge.
  • Renouvellement de la flotte et retards potentiels de livraison, qui entraînent un recours accru aux contrats de location, d’où une hausse de la dette brute.
  • Concurrence des compagnies low-cost et du fret maritime (pour la partie Cargo) pouvant rogner la recette unitaire à moyen terme.
  • Effet ponctuel des Jeux Olympiques de Paris 2024, qui a perturbé la demande sur certaines lignes et ajouté des coûts de personnel. Les effets ne devraient pas se prolonger, mais ils ont pesé sur l'exercice écoulé.

Bon à savoir

Le coût unitaire est particulièrement stratégique dans le transport aérien. Il se calcule en divisant l’ensemble des charges d’exploitation (hors carburant ou incluant le carburant, selon la méthodologie) par la capacité offerte. Mieux une compagnie maintient ce coût bas, plus elle peut générer de la marge pour un niveau donné de recettes unitaires.

Le “Back on Track” de KLM : une initiative cruciale

La branche néerlandaise du Groupe fait face depuis quelques années à une hausse de ses coûts, en particulier dans l’entretien de la flotte et la masse salariale. Dès le quatrième trimestre 2024, KLM a lancé le programme “Back on Track”, censé apporter rapidement 450 millions d’euros d’amélioration structurelle du résultat d’exploitation.

L’un des premiers volets de ce plan a été la réduction d’environ 250 postes non opérationnels, officiellement annoncée début 2025, afin de gagner en efficacité. KLM cherche également à optimiser son réseau, accroître le taux de remplissage sur certaines destinations jugées trop faiblement desservies et affiner son offre tarifaire. Les premiers effets, visibles au T4, se reflètent dans le résultat d’exploitation en hausse de 69 millions d’euros comparé au T4 2023.

KLM, fondée en 1919, est la plus ancienne compagnie aérienne à opérer sous son nom d’origine. Elle a fusionné avec Air France en 2004 pour créer l’un des leaders européens du transport aérien, tout en conservant une identité de marque et une base opérationnelle forte à Amsterdam-Schiphol.

Recommandations pour améliorer la performance

Dans un univers particulièrement concurrentiel, Air France-KLM doit poursuivre l’optimisation de sa structure de coûts et la diversification de ses revenus. Voici quelques pistes d’amélioration :

  • Investir dans la digitalisation : simplifier davantage l’expérience client en ligne, optimiser la vente de billets et la gestion des services additionnels (bagages, options confort). La hausse des ventes directes peut diminuer les coûts de distribution.
  • Maintenir un haut niveau de partenariat stratégique : la participation minoritaire dans SAS, ou encore les accords conclus avec China Eastern, Delta ou Virgin Atlantic, s’avèrent précieux pour capter une clientèle internationale.
  • Développer la part du SAF (Sustainable Aviation Fuel) : renforcer l’image éco-responsable et se conformer aux objectifs de neutralité carbone. Les engagements signés avec TotalEnergies (jusqu’à 1,5 million de tonnes de SAF sur dix ans) doivent être maximisés et soutenus par des politiques tarifaires incitatives.
  • Poursuivre la dynamique Premium : l’amélioration des cabines Business et la mise en place d’offres Premium Economy renforcent le panier moyen par passager. Cette montée en gamme permet également d’absorber une partie des coûts croissants.
  • Optimiser la capacité Cargo : tirer profit des fluctuations saisonnières pour se positionner sur les corridors les plus rentables, en particulier vers l’Asie, où la demande demeure soutenue.

Quelle stratégie pour 2025 ?

Air France-KLM vise une capacité en hausse de +4 à +5 % par rapport à 2024 et anticipe des investissements nets de 3,2 à 3,4 milliards d’euros. L’augmentation du coût unitaire est jugée « à un chiffre bas », préservant la rentabilité.

Perspectives de long terme (2026-2028)

Le Groupe réaffirme ses ambitions pour la période 2026-2028, visant notamment :

  • Une marge opérationnelle supérieure à 8 % pour l’ensemble des opérations.
  • Un cash-flow libre durablement positif, soutenu par une gestion proactive des coûts et des recettes.
  • Une réduction continue du coût unitaire, essentielle pour rivaliser avec les compagnies low-cost.
  • Une trajectoire d’endettement réduite, visant à obtenir un rating “investment grade” auprès des agences de notation, gage de confiance pour les financeurs.

En parallèle, le plan de renouvellement de la flotte se poursuit. Pour 2024, Air France-KLM disposait déjà de 27 % de ses avions de nouvelle génération (A350, A320neo, A220, etc.). L’objectif est d’atteindre 80 % d’ici 2030, améliorant la consommation de carburant et réduisant l’empreinte acoustique de 36,9 %.

Enfin, sur le plan de la responsabilité sociétale, Air France-KLM demeure engagé dans la montée en puissance du carburant durable (1,25 % d’incorporation de SAF en 2024), et ambitionne de réduire les émissions de GES de 30 % par tonne-kilomètre transportée d’ici 2030. Par ailleurs, la compagnie poursuit ses efforts en faveur de la parité, visant au moins 40 % de femmes dans le top 10 % des cadres dirigeants d’ici 2030.

Vers de nouveaux horizons

À l’heure où l’aviation française se redessine autour de nouveaux enjeux énergétiques, Air France-KLM affiche une volonté d’innover et de consolider ses positions. Les résultats 2024, bien que contrastés par la hausse de certains coûts et par un contexte concurrentiel féroce, démontrent la capacité du Groupe à réagir et à transformer les aléas en opportunités de croissance future.

Ces perspectives laissent entrevoir un secteur en pleine mutation, où la qualité de service, l’efficience opérationnelle et l’engagement environnemental constitueront les piliers de la compétitivité.